L’épure de la salle où le béton brut, le bois blond des tables et le noir dominent, jusqu’en
cuisine, est l’arbre qui cache la forêt. Sur la serviette immaculée, votre carte d’embarquement. First class ou En Premium, à n’en pas douter. Le voyage va commencer. L’univers singulier d’Alexandre Mazzia se dévoile aux convives par touches délicates, comme pour apprivoiser, en plusieurs séquences, ritualisées, à la découverte de textures et de saveurs inédites. Devant les délicates coques de topinambour, pulpe de patate douce, réglisse et poutargue, tels des bijoux posés sur un cône de bois précieux, les regards s’interrogent. Sur un lit de mousse, les crousti-galanga, boeuf wagyu maturé et campari précèderont la crevette grise et katsuobushi de bonite. « Et vous terminerez sur le liège, avec parmesan, pistache et grenade », annonce Romain alternant avec Clarisse un service zélé. Les yeux s’écarquillent, les bouches s’étonnent, s’exclament, toutes en retenue. Pas de menu, ici. Mais une succession de surprises, orientées sur la mer et le végétal. Le fumé, le torréfié, l’herbacé, l’épicé, le piment : tous les traceurs de la cuisine d’Alexandre Mazzia s’affirment au fi l des séquences. Dans leur tiède berceau de lait fumé, les noisettes torréfiées croquent, les oeufs de truite et de saumon sauvage marinés au saké éclatent et coulent délicatement dans la gorge. Du miel ! Douceur fleurie de la biscotte végétale, jardin extraordinaire au fondant iodé. Et puis c’est la claque. La première claque culinaire. Là, sur la pierre lisse d’un galet gris, la bouchée anguille fumée chocolat noir. Indescriptible. Insensé. Du jamais vu, du jamais goûté, du jamais ressenti. L’alliage est détonnant, subtil et délicieux.
© Photo : Jonathan Thevenet
Une cuisine « sur mesure » et selon l’humeur du moment
Pour accompagner cette dégustation hors normes, le sommelier Jean-Philippe Rock convoque le monde. Un Troken, vin d’Alsace à l’aromatique de fleur blanche et finale sur l’amande pour surligner l’aventure gustative ou ce Sauvignon, Georges Michel, de Nouvelle-Zélande, du côté de Marlborough, de 2014, légèrement pétrolé. Un arôme d’origine que les Français de l’autre bout du monde ont rendu au Sauvignon. Pourquoi pas ce Dazibao, gamay du Beaujolais, vin nature léger sur le fruit rouge, parfait sur les premiers plats. En salle Clarisse, Romain et Jean-Philippe ont en tête les 24 couverts, leurs préférences ou réticences. Une cuisine sur mesure. Pour le confort des clients, aux appétences casher ou végétaliennes, autant que par respect pour ce qu’offre le moment, la saison, la nature. La clientèle internationale ne s’y est pas trompée, avant même les premières distinctions. L’engouement des Marseillais est tel qu’on pourrait croire qu’ils l’attendaient, cette table, à l’étonnante promesse. Du haut de son mètre quatre-vingt-douze, la tête légèrement penchée de côté, le grand Alexandre réfléchit, supervise la mise en place, attentif aux moindres détails, tant en cuisine qu’en salle, pour ce service si particulier, élégant, précis et chaleureux.
© Photo : Jonathan Thevenet
© Photo : Jonathan Thevenet
Accepter que l’émotion vous submerge
Ces associations jusqu’alors inconnues sont magnifiées par leur mise en scène. Les supports, très organiques, sont une ode à la nature. Bois, pierre, nacre ou corne, algues, végétaux. Les bols, dômes et autres coupes, souvent signés par la céramiste Ema Pradère, subliment le produit, apportent cette profondeur et cette réverbération chères à l’oeil d’esthète du chef. Tout est pensé pour vous emporter, ailleurs, loin, longtemps. « On dirait le sud, le temps dure longtemps », chante Nino Ferrer. À la table d’Alexandre, on perd la notion du temps. Les sens sont en alerte, à l’écoute. L’envie impérieuse d’échanger vos sensations vous prend, de partager le souvenir qu’appellent une saveur, une couleur. Celle, irrépressible de comprendre l’incompréhensible. Chez AM, il faut rendre les armes, lâcher prise, accepter que l’émotion vous submerge, s’abandonner aux seuls plaisirs des yeux et du goût. Il y a quelque chose d’un colinmaillard gastronomique : accepter de se perdre pour mieux se retrouver. La sophistication des plats proposés résulte moins du type de produits que d’associations surprenantes, de cuissons, séchages ou marinades insoupçonnées, de finitions d’une infinie délicatesse des plats. Alexandre Mazzia travaille indifféremment la semoule ou la langouste, pour faire de chaque matière quelque chose de surprenant, de doux, d’incroyable. Avec sa langoustine en juxtaposition de cuisson, carottes fanes, gingembre, il donne ses lettres de noblesse au manioc, produit africain « de peu », avec cette raviole marinée qui la couvre. Les couleurs explosent dans l’assiette quand, saupoudrée de fleurs, cuites à l’eau de mer puis séchées, le serveur dessine tout autour une spirale d’un lait de poule jaune vif. Le tableau est saisissant. Il se passe là, un milliard de choses en bouche.
© photo : Jonathan Thevenet
Des produits d’exception et le souci du territoire qui les fait naître
Les goûts d’Alexandre Mazzia se sont forgés aux fi ls de ses années africaines, au Congo où il est né et a vécu jusqu’à 15 ans, à la source d’un grand-père pêcheur à l’Ile de Ré aussi et au fi l de ses voyages au long cours, cuisinier pour un particulier. Il puise son inspiration, ses épices, condiments et modes de préparation dans le grand réservoir des cuisines du monde. Les produits que lui apportent ses maraîchers et pêcheurs préférés sont ses sources d’inspiration premières, de par leur fraîcheur et leur qualité. Des légumes d’exception, cultivés en perma-culture, auxquels le chef rend hommage en les transcendants dans ses plats. Son inventivité semble sans limite. Ainsi l’Orient et l’Occident s’épousent-ils inlassablement dans la cuisine d’Alexandre. À l’instar de sa framboise-harissa. Un bijou de contraste, de fraîcheur épicée. Ou encore son miso, petit consommé à la saveur incomparable, à base de bouillon de volaille et de coquilles d’huîtres, pour le côté ferreux et métallique. Les desserts n’échappent pas à la règle. La glace à la confiture de lait et thé matcha est exquise. Hibiscus,
tamarin, citron et goyave s’invitent autour d’un biscuit façon cannelé remis en température au jus de viande surmonté de la ronde cristalline de verts kiwis. Etonnant. « Viens, petite, viens dans mon comics trip » pour un voyage sans fi n que te ponctueront l’Aloé Vera pimenté « chebam », le sorbet ananas safran, piment, patate douce « pawoooo » ou le stupéfiant chocolat navet et bacon, block ! wizzzz !
9 Rue François Rocca
13008 Marseille
04 91 24 83 63
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