S’il n’avait pas été cuisinier, Alain Passard aurait probablement été peintre ou couturier. Passionné par les formes et les couleurs, son attention s’est tournée vers les produits de la terre. En étant le premier à faire du légume l’ingrédient central de sa cuisine, il transmet un nouveau mode d’expression.

ARTISTE DE GENERATION EN GENERATION

Amoureux du beau geste, Alain Passard a choisi la cuisine pour assouvir sa passion. Fils d’une mère couturière et d’un père musicien, il grandit dans un univers artistique dans lequel le geste est partout. « Mon père était batteur-clarinettiste, mon grand-père travaillait l’osier, ma mère assemblait ses étoffes sur la table de la cuisine et ma grand-mère était une très bonne cuisinière ». Petit, lorsqu’il n’est pas avec ses copains à jouer au ballon ou à sauter à la perche, c’est avec sa grand-mère qu’il passe le plus clair de son temps. Très rapidement, les moments passés autour du fourneau se multiplient pour le plus grand bonheur des deux générations. D’elle, il héritera de son talent pour la rôtisserie et de cette passion pour la flamme, « ma grand-mère n’était pas un grand saucier mais elle avait compris comment dompter la flamme, ce qui faisait d’elle un excellent rôtisseur. Depuis son fourneau à bois, elle jouait avec l’oreille. Elle savait lorsqu’il fallait retourner la volaille, l’arroser… le four sifflait et le gigot était en train de dorer. Elle avait les cinq sens en éveil, et ça, c’était magique ». Parallèlement à son affection pour la cuisine, le jeune Alain est très vite attiré par les formes et les couleurs. Dès l’âge de sept ans, il pouvait passer des heures à colorier et à confectionner de petits collages. Plus tard, cette occupation lui apportera une source d’inspiration pour associer les teintes et harmoniser les goûts.

Alain Passard
© Arnaud Dauphin Photographie
L'Arpège
L'Arpège
© Arnaud Dauphin Photographie
L'Arpège
L'Arpège
© Arnaud Dauphin Photographie

L’APPRENTISSAGE DU GESTE

Pas plus haut que trois pommes, Alain Passard fait déjà ses premiers pas en cuisine. Et c’est chez le voisin de ses parents, qui détient la pâtisserie de son village collée au mur gauche de sa chambre, qu’il se familiarise avec l’envers du décor, « je suis né dans un village gourmand, il y avait de bons artisans partout. Je voyais ces marmitons avec leur toque et leur pantalon en cul de poule, j’entendais le pétrin qui tournait, je sentais toujours les bonnes effluves, autant d’éléments qui ont fait qu’un jour je me suis dit que cuisinier était un joli métier et qu’il deviendrait le mien ». Cinq ans plus tard, il quitte La Guerche pour Liffré non loin de Rennes. Là-bas, le breton y apprend la technique auprès de Michel Kéréver. Il part ensuite pour Reims (La Chaumière) chez Gaston (le père) et Gérard (le fils) Boyer avant d’intégrer trois ans plus tard la brigade d’Alain Senderens à l’Archestrate, aujourd’hui rebaptisé l’Arpège. « Lorsque je suis arrivé à l’Archestrate en 86, jamais je n’aurais imaginé racheter cet endroit et y avoir un jour trois étoiles ». De ces années passées au côté d’Alain Senderens surgiront la créativité et la folie, il imbriquait des choses improbables, du homard avec de la vanille, du canard et même de la mangue ».

L'Arpège
L'Arpège
© Arnaud Dauphin Photographie
L'Arpège
L'Arpège
© Arnaud Dauphin Photographie
L'Arpège
L'Arpège
© Arnaud Dauphin Photographie

LE FRUIT DE LA TERRE

Qu’ils soient longs, petits, colorés ou boursoufflés, les légumes ont tous leur place dans les cuisines du 84 rue de Varenne et pour cause, les stars se sont eux : fines ravioles potagères, consommé de topinambour ; gratin d’oignon doux, citron de Menton, parmesan ; fricassé de poireau, truffe noire, beurre jaune ; crème de potiron, mousse au Speck ; couscous végétal, fine semoule parfumée à l’huile d’Argan… une cuisine qui danse au rythme des saisons. Pour vous surprendre, Alain Passard use de ses talents de rôtisseur : grillé, rôti ou flambé, chaque légume conserve son essence, sa couleur, sa luminosité et sa transparence. Un travail de longue haleine pour faire du légume un grand cru de la gastronomie française.

« Lorsque je suis arrivé à l’Archestrate en 86, jamais je n’aurais imaginé racheter cet endroit et y avoir un jour trois étoiles. »

 

Alain Passard
Alain Passard
© Arnaud Dauphin Photographie
Alain Passard
Alain Passard
© Arnaud Dauphin Photographie

UNE MAISON AU STYLE ART DECO

Epuré. Voici l’adjectif qui conviendrait au décor de l’Arpège. De l’art à l’assiette il n’y a qu’un pas. Planté à l’entrée, un paravent orné d’un vitrail réalisé à partir d’un collage du maître des lieux donne le ton. Le violet intense de l’aubergine et le vert clinquant du curry vert nous indique que nous ne nous sommes pas trompés : nous sommes bien dans le temple du légume. Une peau de poirier lisse et scintillante enveloppe les murs. Amateur d’art déco et fan des années 20, Alain Passard nous emmène à bord d’un paquebot. Cette grande statue en bois ondule le long des vagues de verre de l’architecte Bernard Pictet. Ces courbes retranscrivent la signature culinaire du chef, le gommage du geste et l’ablation du superflu. En clin d’œil à celle qui lui a transmis sa passion, un tableau, l’unique de son restaurant : le portrait de sa grand-mère, Louise Passard. Enfin, déposés sur chacune des tables, de petits pots-de-fleur dans lesquels poussent navets, carottes ou encore rhubarbes nous rappellent subtilement que chez Alain Passard, le potager n’est jamais très loin.


 

L’Interview «à croquer» 100 % fruits et légumes

Vous mettez du beurre dans les épinards ?
Oui et pas n’importe lequel, un beurre noisette.

Racontez-moi une salade ?
La salade du dimanche soir de ma femme avec son poulet au four et ses pommes de terre. Une recette de famille qu’elle conserve précieusement.

Qu’est-ce qui vous rend rouge comme une tomate ?
La pintade farcie au céleri, rutabaga et topinambour de ma mère à Noël.

La dernière fois que vous avez dû appuyer sur le champignon ?
Pour aller plus loin dans une recette de pâte feuilletée. Je voulais y ajouter une petite subtilité torréfiée en l’occurrence du café.

Vous êtes déjà tombé dans les pommes ?
Ca m’est arrivé, il y a huit ans. Je dégustais un grand plat chez Fredy Girardet à Crissier (Suisse).

Vous avez déjà pleuré devant un oignon ?
Oui régulièrement, ce sont des chagrins douloureux.

Quel est votre secret pour avoir une peau de pêche ?
Manger des légumes et des fruits du jardin.

Est-ce que cette interview vous a donné la banane ?
Oui, bien sûr ! (rires)

 

L'Arpège
© Arnaud Dauphin Photographie