Victoire Finaz, vous avez un métier assez particulier que beaucoup d’entre nous aimeraient faire, vous mangez du chocolat toute la journée ?
Victoire Finaz : Oui c’est ça, depuis sept ans maintenant, je déguste beaucoup de chocolats et me suis spécialisée en analyse sensorielle. J’ai démarré cette activité par une thèse sur « l’Expertise en chocolat » réalisée dans le cadre de mes études en psychologie. Ce travail de recherche m’a permis d’acquérir tout le vocabulaire nécessaire à la dégustation du chocolat. Par la suite, j’ai animé des ateliers de dégustation pour des entreprises et des agences évènementielles afin de faire découvrir le chocolat dans le cadre de cours de chocologie®.
Quels sont vos conseils pour déguster un chocolat ?
Dans la dégustation d’un chocolat le contexte est important. Il faut pouvoir être au calme. Idéalement, le meilleur moment pour déguster un chocolat c’est en fin de matinée, là où les papilles sont le plus aiguisées et que l’on n’est pas saturé par un déjeuner ou par des aliments un peu épicés… Il faut également ne pas être trop fatigué pour avoir tous ses sens en alerte, ne pas avoir bu de café, ne pas fumer… l’important étant vraiment de se trouver dans un état neutre.
Quels sont les critères d’un bon chocolat ?
Lors d’une dégustation en analyse sensorielle, on va stimuler nos cinq sens. On va être attentif à la couleur du chocolat, à sa brillance, à son aspect. Un bon chocolat doit avoir une couleur acajou dotée de reflets rouge, pourpre et jaune. S’il est trop noir, cela signifie que les fèves ont été brûlées.
L’étape suivante n’est pas forcément un critère de qualité, c’est plus comme un réflexe, on sent toujours le chocolat avant de le déguster. Parfois, il est éventé, c’est-à-dire qu’il ne sent pas grand-chose mais ça ne veut pas dire qu’il ne va pas être aromatique en bouche. Au contraire, il peut nous transporter dans une plantation de cacao, avec des notes cuivrées, fruitées… L’ouïe se mesure par une casse nette du chocolat. S’il s’effrite, cela signifie que l’homogénéisation de la pâte de chocolat a été mauvaise.
Enfin, on arrive à la phase de dégustation. D’un côté, on a les textures : fondant, granuleux, farineux, croustillant, râpeux… et de l’autre les arômes : florales, boisées, végétales, animales, grillées, torréfiées… Dans les chocolats de mauvaise qualité on trouvera des notes synthétiques d’essence ou de caoutchouc. Des notes de champignon et de mousse ressortent également lorsque les chocolats ont été fabriqués avec des fèves moisies.
© DR
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Comme pour un vin, lorsqu’on déguste un chocolat, on peut parler de « cru », qu’est-ce que ça signifie ?
Un « cru » est un chocolat fabriqué avec une seule origine de fève déterminée par le pays de production ou l’origine de la plantation. Et ce qui est intéressant dans la dégustation d’un cru est de voir l’influence du terroir dans la tablette de chocolat. Le goût diffère en fonction de la densité de la pluie, de la végétation autour des cacaoyers… Sur l’île de Sao Tomé en Afrique, qui est une ancienne île volcanique, on aura un chocolat beaucoup plus fumé, plus intense et boisé qu’un chocolat de Madagascar qui va être entouré de fleurs de coton, de vanille, et qui va donner un chocolat beaucoup plus fruité.
Lors de la dégustation des chocolats de la Manufacture d’Alain Ducasse, est-ce qu’on pouvait parler de « cru » ?
Les ganaches « Origines » ont été réalisées avec une seule ganache, comme nous venons de l’évoquer. La ganache « Pérou » était plutôt boisée avec une note fruitée sur la fin, la ganache « Java » était quant à elle clairement fumée. Le point commun qui ressort de ces chocolats était leur forte acidité, qui semblait ici venir d’un parti pris, avec une fermentation et une torréfaction assez faibles.
Quelle est votre expertise sur les ganaches « Gourmandes », qui rassemblent épices et fruits frais ?
Pour ces chocolats-ci, on retrouvait beaucoup de notes comme la vanille, la tarte au citron, le café, le cassis… Pour moi, ils étaient très typés et typiques d’une fabrication artisanale et authentique. On sent que l’on est dans une vraie manufacture avec tout le procédé de fabrication… on a l’impression de se retrouver dans un magasin d’usine.
Dans la ganache « Café », on avait vraiment un goût de marc de café très présent, assez amer et intense. Pour ce qui est de la ganache « Vanille », la texture était très onctueuse avec des notes aromatiques de caramel et de miel en fin de bouche vraiment délicieuses. En revanche pour la ganache « Cassis », on est sur un mélange de pâte de fruit de cassis, et pour moi c’était très acide, peut être un peu trop, on ne sentait plus du tout la petite note de chocolat en fin de bouche que j’apprécie particulièrement dans une dégustation.
Vous avez également dégusté une troisième gamme de chocolat, les « Pralinés à l’ancienne », est-ce que la dégustation était à la hauteur de vos espérances ?
Contrairement à ce que j’ai pu vous dire avant, le côté un peu brut donne ici des notes vraiment sympas au chocolat. Les pralinés sont broyés mais pas complètement, ce qui apporte une texture granuleuse et croustillante avec une petite touche de fleur de sel également. J’adore quand ça croque !
Pour vous, les chocolats de La Manufacture d’Alain Ducasse sont plus pour le grand public que pour les connaisseurs ?
Je n’irais quand même pas jusque-là. Dans l’ensemble les chocolats sont gourmands, on revient à l’état pur des produits et des ingrédients. Ce qui fait la magie du chocolat, c’est le parti pris, la personnalité et le savoir-faire que chaque chocolatier apporte dans ses créations. Dans le cas de la Manufacture d’Alain Ducasse, les recettes sont très cohérentes avec le positionnement choisi. On est ici sur un nouveau modèle, après c’est comme tout, on aime ou on n’aime pas. Ce qui fait la grande force d’une ville comme Paris où les chocolatiers sont nombreux, c’est que chacun peut trouver chaussure à son pied !