Le Pré aux Clercs est une institution dijonnaise et même un véritable symbole de l’héritage gastronomique local, et ce pour plusieurs raisons.
En premier lieu, son ancienneté lui confère une aura dans la Cité des Ducs puisqu’il fait littéralement partie des murs. Ouvert initialement rue Vauban en 1833, il déménagera sur la place d’Armes (actuelle place de la Libération) en 1866 pour ne plus en partir. Quant à son nom, il le doit à un opéra-comique au succès triomphant joué au théâtre de Dijon l’année de sa création. Du reste, le Pré aux Clercs cache en son sein un second établissement, Aux Trois Faisans, avec lequel il a fusionné en 1958 sous la direction du chef Henri Colin. Une autre table inoubliable auréolée de deux macarons Michelin en 1924 dont la réputation franchira l’Atlantique sous la plume d’une critique gastronomique américaine de passage dans la Cité des Ducs, littéralement bluffée par son repas. En 1996, c’est le chef Jean-Pierre Billoux qui rachète l’adresse et la fait briller d’une étoile. A-t-on seulement idée des personnalités qui se sont attablées au Pré aux Clercs au fil du temps ? Parmi elles le Prince Albert, futur roi de Belgique, le roi et la reine de Thaïlande, l’archiduc Otto de Habsbourg, le chanoine Kir bien sûr ainsi que ses invités de marque et tant d’autres… L’ambiance s’est aussi parfois avérée électrique comme le jour de l’assassinat de Daniel Boggia au pied de l’établissement en 1973, le sifflement des balles a retenti jusque dans la salle du restaurant. Le Pré aux Clercs est un témoin de son époque dans tous les registres : historique, politique et culinaire. En 2017, lors du départ du chef Billoux resté plus de 20 ans à la direction, il fallait une suite à la hauteur de l’adresse. C’est ainsi que l’enseigne a intégré la collection Esprit Blanc avec une carte qui fait écho à l’univers du chef doublement étoilé Georges Blanc.
L’avènement d’une brasserie
Il y a 8 ans, le Pré aux Clercs passait donc de restaurant à brasserie. Dans cette nouvelle version, deux chefs se sont succédés avant Dawei Wang. Ce jeune chef faisait déjà partie des effectifs lors de l’ouverture. C’est au début de sa vingtaine qu’il décide de quitter Paris où il a fait ses armes de cuisinier pour rejoindre sa compagne qui vit à Dijon, sur un coup de tête…ou plutôt de coeur. Il n’a pas de plan particulier et se met donc en quête d’un travail dans un restaurant : « Je suis arrivé en parfait touriste qui ne connaît que la moutarde. », dit-il en souriant.
Très rapidement il tombe sur la campagne de recrutement du Pré aux Clercs qui réunit sa nouvelle équipe : « Je n’avais jamais fait d’ouverture, je me suis dit que c’était un challenge à relever. ». Au fil des années, il évolue et plusieurs fois il se voit proposer la place de second qu’il refuse systématiquement ne se sentant pas prêt, stoppé par la peur ne pas être à la hauteur. Il finira tout de même par surmonter ses craintes et occuper le poste brièvement en 2022 puisqu’il sera promu chef dès l’année suivante. Dans cet établissement singulier, c’est une place particulière qui exige de répondre à de nombreuses attentes.

© Christophe Fouquin

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Passion lointaine
Né à Zhejiang à l’est de la Chine, le chef a grandi tout près de la mer. Lorsqu’il évoque ses souvenirs d’enfance, ce qui lui revient en premier ce sont ses vacances d’hiver et d’été passées dans la maison de ses grands-parents qui avaient une ferme : « Ils faisaient de l’élevage et du maraîchage puis cuisinaient le fruit de leurs récoltes. C’est ma première découverte des produits bruts. ». Enfant et insouciant, il passe son temps libre à la pêche aux escargots de rivières, aux crabes et aux écrevisses. C’est à l’âge de 8 ans qu’il arrive en région parisienne. Un déracinement auquel il réussit à s’adapter rapidement, notamment en maîtrisant le français à la perfection en quelques années seulement.
« En France, mes parents ont ouvert un restaurant. Pour eux c’était une forme de facilité car en Chine tout le monde sait cuisiner, les garçons comme les filles, et cela ne demande pas de diplôme particulier. », expliquet- il. À l’adolescence, Dawei Wang aime arpenter les cuisines de l’affaire familiale et se lance dans des tests culinaires à ses heures perdues. Finalement, attiré par le sens de l’ordre et de la rigueur il se donne deux choix de carrières possibles : militaire ou restaurateur. C’est restaurateur qui l’emportera et sans regret. Après son bac professionnel, il enchaîne les expériences dans des établissements gastronomiques parisiens où l’exigence et l’organisation au quotidien correspondent à son caractère. Il passe entre autres par les cuisines des Fables de la Fontaine auréolées d’un macaron Michelin à l’époque, mais aussi par le luxueux Hôtel de Sers, le Dôme du Marais et les Éditeurs. S’il n’est jamais resté plus d’une année au même endroit, le jeune qui a la bougeotte a finalement été séduit par le Pré Aux Clercs au point d’y cumuler 8 années d’ancienneté : « Faire l’ouverture d’un établissement, ça change les choses. On se sent faire partie d’un tout, on sait que l’on a participé à la construction de l’adresse à la sueur de son front. ».
Le juste équilibre
Au Pré aux Clercs, tout est une question d’équilibre. Certes, l’établissement est une brasserie, mais pas n’importe laquelle. Il faut être à la hauteur de l’histoire des lieux, du parrainage de l’inégalable Georges Blanc et des attentes des clients : « Nous avons une grande équipe, rien qu’en cuisine nous sommes neuf. Nous sommes ouverts tous les jours du lundi au dimanche, midi et soir. Il faut travailler des produits frais uniquement, avec précision mais rapidement, sans aucune marge d’erreur pour ne pas décevoir nos convives. », détaille Dawei Wang.
En 2024, la brasserie a servi 48 000 couverts. De quoi avoir le vertige quand on pense au nombre d’assiettes qui traversent l’ensemble du restaurant, du rez-de-chaussée à la mezzanine en passant par la très grande terrasse qui donne sur l’imposant Palais des Ducs. Un défi quotidien qui ne déplaît pas au chef et participe sûrement de sa volonté de s’investir sur le long terme : « Je ne stagne jamais. Il y a toujours de nouveaux challenges à relever. ». Si chaque chef passé par ici a apporté sa pierre à l’édifice et continue de le faire en la personne de Georges Blanc qui délivre des conseils réguliers, Dawei est libre de ses arbitrages culinaires. Il compose néanmoins avec deux piliers qui sont la signature de la brasserie by Georges Blanc : mettre à disposition des recettes emblématiques du chef comme l’indétrônable volaille de Bresse et laisser le choix aux clients de la garniture.
Du reste, il a les coudées franches pour marier les traditions françaises au fruit de sa créativité. En bonne intelligence, Dawei Wang construit une carte qui vogue entre saveurs bourguignonnes, traditions françaises, cuisine contemporaine et quelques notes asiatiques chères à son cœur.

© Christophe Fouquin

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Légèreté
Respectueux des bases classiques de la cuisine française et de la signature culinaire du chef Blanc, Dawei Wang porte une attention particulière aux sauces. Un élément qui a toujours été central au Pré aux Clercs puisque Henri Colin en son temps avait fait des plats en sauce la spécialité du restaurant. « Saucier c’est un métier à part entière. C’est ici que j’ai appris à les faire dans les règles de l’art, selon les vraies traditions françaises, à l’ancienne. », détaille le chef. Ainsi, Dawei les monte au beurre pour maximiser le goût, la gourmandise et l’onctuosité. De plus, elles sont réalisées en grande quantité car in fine les assiettes sont garnies avec générosité. Pour l’emblématique volaille de Bresse par exemple, le ratio est 5 litres de sauce pour 5 kilos de volaille. Une richesse que le chef tempère avec un travail particulier sur les protéines et le végétal pour alléger l’ensemble. Il aime travailler le gibier et le poisson qu’il reçoit en pièces entières et qu’il a plaisir à préparer intégralement. Il n’hésite pas à ajouter des petits légumes, souvent crus et quelques touches d’agrumes : « De la mâche, du croquant et du peps, c’est ce que l’on doit retrouver à la dégustation ».
Pour autant, il met un point d’honneur à n’utiliser que des beaux produits, aussi respectueux que possible de l’environnement : « Depuis que je suis arrivé, je n’ai jamais travaillé d’avocat. ». Concernant les incontournables oeufs en meurette ils viennent de la Ferme du Pontot. Les escargots, quant à eux, sont également produits localement par Hervé Ménelot. En guise de signature technique, le chef Dawei Wang ne quitte jamais son siphon avec lequel il aime créer toutes sortes de nuages savoureux : « J’aime la texture et la légèreté que cela apporte. Ça change aussi légèrement le goût des aliments. Concernant la betterave par exemple, on sent plus le côté sucré que le côté terreux ». La carte de printemps n’échappe pas à la règle et aura son « nuage » à la mozzarella et aux asperges blanches de saison.
L’exigence
En cuisine, le travail de préparation est colossal pour servir autant de convives à chaque repas (jusqu’à 200 couverts par jour), d’autant plus quand tout est fait maison à base de produits frais. La qualité et le goût doivent être constants sans pour autant négliger la présentation. Au Pré aux Clercs, le dressage c’est tout un art. Avant de sortir des cuisines, les manipulations dans l’assiette sont nombreuses et chacune est scrutée et réajustée : « Dès l’ouverture, la barre a été mise assez haut. Nos dressages sont extrêmement travaillés, parfois on est plus proches du semi-gastro que de la brasserie. ». À chaque changement de carte saisonnier, le chef élabore ses recettes en une semaine et lance ses plats en une seule fois, sûr de ses recettes et de ses associations. Les tests, il les fait principalement sur le dressage, pour s’assurer de trouver la meilleure formule : « Les clients ne nous comparent pas aux autres brasseries, mais plutôt à des établissements gastronomiques donc nous nous devons d’être à la hauteur de leurs attentes. ». Un paradoxe lié à l’identité même de l’adresse et à ce qu’elle représente pour les Dijonnais. Alors pas question de revoir ses ambitions à la baisse, le Pré aux Clercs maintient ses exigences et continue à se démarquer comme il l’a toujours fait. Comme le disait justement Georges Blanc : « Sans passion point d’élévation. ».

© Christophe Fouquin
13 place de la Libération
21000 Dijon
03 80 38 05 05
https://www.lepreauxclercs.fr/