À Beaune, dans le cœur historique de la capitale des vins de Bourgogne et à deux pas des célèbres Hospices, le chef étoilé compose une cuisine cosmopolite, soignée, féminine presque, ancrée dans l’histoire locale mais aussi dans ses racines à lui.
J’ai toujours été curieux de la culture d’un pays et la cuisine, c’est la base de tout.
Mourad Haddouche

10 h du matin. Dans les cuisines de Loiseau des Vignes, à Beaune, règne un calme à peine trahi par le souffle des ventilateurs. Devant le poste de dressage, Mourad Haddouche s’exécute avec une précision millimétrée pour dresser l’une des entrées du jour : un mini potager d’herbes, de petits légumes et d’escargots sur lequel le chef vient déposer en fine pluie, de la Fajoca. Une trouvaille à base de manioc pilé, séché et torréfié qu’il a rapporté de son dernier voyage au Brésil, qui vient apporter du croustillant à sa recette. Et, avec elle, donner au plat toute son identité. Travailler avec des produits d’ailleurs, Mourad Haddouche en a fait sa signature culinaire. Pas seulement pour l’originalité de ses découvertes, mais plutôt pour l’histoire qu’elles racontent. « Ma cuisine, je la conçois avant tout comme une histoire que je veux raconter et partager », confie le chef de 43 ans une étoile au guide Michelin, qui a pris les commandes de la brigade de Loiseau des Vignes en 2011. Passionné par les voyages, ce Marseillais d’origine algérienne y a pris goût très tôt. « Quand j’étais jeune, j’étais nul à l’école, j’ai compris assez vite que je ne ferais pas d’études. Ma mère ne voulait pas m’acheter de scooter mais elle était d’accord pour que je parte en vacances à l’étranger. À l’époque on vivait dans un monde pas méchant, j’ai donc pu me rendre fréquemment en Algérie, au Maroc ou en Tunisie. J’adorais ça : j’ai toujours été curieux de la culture d’un pays et la cuisine, c’est la base de tout. »

Restaurant Loiseau des Vignes
Restaurant Loiseau des Vignes
© Arnaud Dauphin Photographie
Restaurant Loiseau des Vignes
Restaurant Loiseau des Vignes
© Arnaud Dauphin Photographie
Le plat qui lui a donné l’envie de cuisinier
« Le pot au feu de ma maman. »

Carte blanche

Cette ligne de conduite, adossée à une furieuse envie de réussir, ne le quittera plus. Mourad Haddouche se nourrit de ses voyages à l’étranger pour construire sa personnalité gastronomique très tôt. Après sa formation, il enchaîne les maisons, jusqu’à rejoindre la Côte-Saint-Jacques dans l’Yonne, et son prestigieux restaurant trois étoiles. Là-bas, il fait la connaissance de Christophe Gines, alors sommelier, qui prendra la direction de Loiseau des Vignes en 2009. Les deux hommes qui se connaissent maintenant depuis dix ans, partagent la même curiosité culturelle, la même ouverture, la même soif de découverte. Le tandem œuvre à Beaune depuis sept ans maintenant. Mourad Haddouche y a carte blanche pour développer la cuisine qui l’inspire « On a la chance, apprécie le chef, d’avoir une patronne, madame Loiseau, très ouverte et qui nous fait confiance. Quand elle m’a embauché, elle savait que je n’avais pas l’intention de faire de la cuisine traditionnelle bourguignonne ». Une liberté qui se traduit par de subtils mélanges de saveurs régionales à une touche d’exotisme dont il a le secret.

Produit d’été préféré
« Parce que je suis un peu chauvin, je dirais le bœuf de Charolles, la Rolls-Royce des bêtes. »

Accents du monde

La brioche vapeur découverte lors d’un séjour en Chine habille ainsi une poularde de Bresse tandis que sa pop amarante, une petite graine venue du Portugal, vient paner un pigeon à peine cuit, terriblement fondant et accompagné d’une moutarde au cassis. Un autre trésor rapporté de l’un de ses nombreux séjours à travers la planète. Mourad Haddouche parcourt le monde plusieurs fois par an pour trouver l’inspiration. Mexique, Italie, Turquie, Russie, Israël rythment son quotidien et nourrissent son inspiration. « Sur place, je goûte une épice et je me dis qu’elle irait très bien avec la chair de l’escargot par exemple », confie le cuisinier. Son inspiration, il la doit sans doute aussi à l’un de ses modèles : Alain Ducasse, dont il apprécie justement cette cuisine aux accents du monde.

Escargots des prés de Fontaines
Escargots des prés de Fontaines
© Arnaud Dauphin Photographie
Restaurant Loiseau des Vignes
Restaurant Loiseau des Vignes
© Arnaud Dauphin Photographie
Mourad Haddouche
Mourad Haddouche
© Arnaud Dauphin Photographie
Un plat qui est réussi, c’est un plat qui a été entièrement mangé
Mourad Haddouche

Brigade internationale

Sa vision du monde et de son éclectisme, il la pousse jusque dans la construction de sa brigade, jeune dynamique… et en partie étrangère ! Dans les cuisines de Loiseau des Vignes, on se parle en espagnol pour que Dani, le jeune Mexicain demi chef de partie fraîchement arrivé, comprenne la recette. Mourad Haddouche tente parfois quelques mots en japonais aussi, avec son second sous-chef, tout droit débarqué du pays du soleil levant il y a quelques mois : il en apprécie la rapidité d’exécution et la précision du travail. Aux fourneaux, la brigade de sept personnes s’active, sans pression. Chacun a sa place, connaît son rôle et s’exécute dans un ballet parfaitement huilé, tout juste cadencé par le rythme plus soutenu de l’heure du déjeuner. Marina, le bras droit de Mourad Haddouche, et en qui il voue une confiance totale, dit de lui qu’il est humain, inventif et très intelligent. « Il réfléchit énormément à la construction d’un plat », apprécie la jeune recrue arrivée il y a deux ans.

Restaurant Loiseau des Vignes
Restaurant Loiseau des Vignes
© Arnaud Dauphin Photographie
Restaurant Loiseau des Vignes
Restaurant Loiseau des Vignes
© Arnaud Dauphin Photographie

Cuisine de détail

Une élaboration minutieuse, un assemblage de goûts et de matières à la fois percutant et tout en finesse, voilà sans doute ce qui a permis au cuisinier de conserver la première étoile de Loiseau des Vignes acquise l’année précédant son arrivée. Sa précision se traduit jusque dans le dressage, structuré, presque géométrique, et surtout, très féminin. Mourad Haddouche peut ainsi passer de longues minutes à composer une assiette sélectionnée par ses propres soins et dans laquelle il va jusqu’à marier 60 produits différents. « Si on en enlève 5, le plat n’a juste plus rien à voir », estime le chef, un brin perfectionniste. Amoureux de la belle vaisselle, il la choisit en fonction du message et de l’histoire qu’il veut transmettre. Dans une mini-cocotte en porcelaine blanche, il dépose par exemple délicatement une rosace de radis mariné, à la teinte presque transparente. Elle accompagne un gâteau de foie gras de canard à la rhubarbe et au crémant rosé, sélection Dominique Loiseau s’il vous plaît. Un habile mélange de parfums et de contrastes entre le terroir bourguignon et les racines méditerranéennes du chef beaunois. Cette cuisine sucrée-salée, il la décline dans des plats signature comme ses loukoums à la rose ou les langoustines mozzarella soufflée et spaghettis à l’encre noire. « On s’inspire aussi du passé, des traditions ; après on innove pour en faire des plats d’aujourd’hui et du futur.

 

Ici, on veut proposer aux clients une cuisine comprise par les gens. Pour moi, un plat réussi, c’est un plat qui est mangé entièrement ».

 

Chez Loiseau des Vignes, cela se traduit par l’utilisation de produits simples aussi. Il y a par exemple toujours un œuf à la carte. Le terroir et l’étiquette Loiseau veut qu’on le prépare en meurette. Mourad Haddouche l’accommode cette saison d’un nid de céleri et d’une sauce rémoulade crabe-coco-curry pleine de fraîcheur pour un trompe-l’œil surprenant et très gourmand. À l’automne, il lui aura sans doute trouvé une nouvelle variante, rapportée de ses prochaines destinations. En le dégustant, vous entendrez peut-être un fond de samba du Brésil ou retrouverez la sensibilité bohémienne de Prague. À moins qu’une épice indienne ne vienne vous chatouiller le palais et vous donne des envies d’ailleurs. Mourad Haddouche aura alors réussi son pari, une fois de plus.

Restaurant Loiseau des Vignes
Restaurant Loiseau des Vignes
© Arnaud Dauphin Photographie

De la vigne au verre

Un plafond rustique soutenu par d’impressionnantes poutres en bois, des étoffes aux arabesques de velours pour encadrer les fenêtres, des murs en pierre, … Si la décoration de Loiseau des Vignes respecte les codes d’élégance et d’intemporalité qui font la notoriété du Groupe Loiseau, un élément tranche dans le restaurant installé au cœur de la capitale des vins de Bourgogne. Sur la quasi longueur de la salle, conçue sur mesure, une imposante œnothèque rouge affiche la particularité de l’établissement. « Nous sommes le seul restaurant d’Europe à proposer 70 références de vins de Bourgogne – la totalité de notre carte – servies au verre », détaille Christophe Gines, son directeur. Derrière cette idée originale de Dominique Loiseau, fil rouge du projet dès l’ouverture du restaurant en 2007 que son mari avait en tête, il y a l’envie de rendre les grands crus accessibles à tout le monde. « Bernard Loiseau tenait à ce que les gens se sentent chez eux quand ils entrent dans son restaurant. Ici, le client peut voir toutes les bouteilles comme s’il était dans sa propre cave, faire sa sélection et déguster des vins à la renommée internationale. » L’été, il est même possible de le déguster dans la très belle cour du XVIème siècle à l’arrière du restaurant.

Restaurant Loiseau des Vignes
Restaurant Loiseau des Vignes
© Arnaud Dauphin Photographie
Restaurant Loiseau des Vignes
Restaurant Loiseau des Vignes
© Arnaud Dauphin Photographie

70 références de Bourgogne

À 26 ans, Jean-Baptiste Courteuge a la délicate et très honorable mission de dénicher les vins qui subliment chaque plat du chef Haddouche. Le responsable sommelier de Loiseau des Vignes propose une sélection de 70 références de Bourgogne, servies au verre, au gré d’une carte qui évolue toutes les semaines. « Je rencontre les vignerons pour trouver les vins qui vont se marier avec les recettes. En salle, on tient compte de la sensibilité des clients, de leurs envies pour apporter de la cohérence avec ce qu’ils ont dans l’assiette ». À l’œuf en trompe l’œil de Mourad Haddouche, le sommelier associe par exemple un Saint-Romain 2015, pour ses notes fleuries qui s’accordent parfaitement avec la sauce rémoulade de cette entrée. Et pour faire fondre madame, il conseille de terminer le repas par un Rivesaltes ambré.