Michel Chabran est un homme comblé. Après avoir fait plusieurs fois le tour du monde, c’est chez lui, ici, à Pont de l’Isère qu’il aime à vivre et à voir Louis, 27 ans, le plus jeune de ses fils, reprendre petit à petit les rennes de la très belle Maison qu’il a forgée au fil du temps. Lui, le fils de personne, l’amoureux de son terroir reprend, en avril 70, le bistrot au bord de la Nationale 7 de ses grands-parents. « A 16 ans, perdre son père, une force de la nature que terrasse une sclérose en plaques, ça vous marque la couenne ». Très vite, la table de Michel Chabran, formé chez Pic, séduit, tant les locaux que le passage, important sur cet axe nord – sud crucial. Alors, il pousse les murs. « Mon père est un peu fou, dit Louis. Heureusement qu’il a eu cette vista », et cette envie première de ne pas voir ses grands-parents vendre le café. Il déplace la cuisine et crée sa salle de restaurant gastronomique, trente couverts dans un écrin feutré. La Grande Table est née. Le Michelin ne s’y trompe pas qui lui décerne une première étoile en 1977. Et quatre toques au compteur.
S’ASSEOIR À LA GRANDE TABLE
Dans ce verger qu’est la Drôme, la nature est généreuse. « Je tends les bras et à tout moment de l’année, il y a quelque chose de bon à cueillir », raconte le Chef. C’est ça, l’esprit Chabran, « essayer de faire simple mais bon », à l’instar d’un Paul Bocuse. « J’adore Paul. Je lui dois mon premier article, signé Claude Jolly, dans l’Express ». C’était en octobre 76. Il lui avait dit, « il faut que tu ailles voir là-bas, il y a un mec, au bord de la 7, il est sympa, le gamin ». Coup de pouce ? Certes. Mais « la chance, ça fait partie du talent », selon Victor Hugo. Il faut savoir la saisir et « être vrai », ajoute Michel Chabran. « On ne peut pas tricher sur les produits. »
ON A LES PIEDS SUR LES CROZES
Les dernières asperges blanches de la Drôme des Collines acoquinées aux morilles fraîches ouvrent le bal d’un menu dégustation Terre, Mer et Ferme. « Un grand classique de la cuisine française, précise Louis. Sans chichi. » Ça sent délicieusement bon. On n’en laisse pas une miette. Le Crozes-Hermitage, sélection parcellaire, Les Hauts d’Eole 2017, vin blanc haut de gamme de la Cave de Tain, est divin. « On a la chance d’être dans une région exceptionnelle. Avec tous les Côtes du Rhône, de Condrieu à Château Neuf. On a des Saint-Joseph, des Cornas, des choses magnifiques », souligne Michel Chabran. « Ici, on a les pieds sur les Crozes ». C’est cette table-là qui reçoit la deuxième étoile en 1985. Depuis, l’établissement s’est doté de chambres pour une hôtellerie de charme, sur la route des vacances. Consultant très sollicité, Michel Chabran s’envole souvent pour le Japon, s’associe à Los Angeles. Des absences qui lui coûtent sa seconde étoile en 89, récupérée en 91 et conservée pendant 15 ans. Visionnaire, il se diversifie. Crée Le Bistrot des Clercs, à Valence en 94, puis Le Quai, brasserie Bib Gourmand à Tain l’Hermitage en 2007, gérés en famille.
ASSOCIER LA NOBLESSE DE LA TRUFFE OU DU CAVIAR À LA SIMPLICITÉ
L’Espace Gourmand voit le jour en 2013. Un havre de paix bistronomique ouvert sur le jardin où poussent tomates bio et herbes aromatiques, d’où l’on aperçoit la Grande Table, comme une promesse. Pour Louis Chabran, revenu dans l’affaire familiale en 2014, après son parcours à l’IGS Paris, la transmission père-fils s’accomplit chaque jour un peu plus, complétée par un cursus de cuisine au sein du groupe Ducasse, Paris, puis chez Michel Rostang, Paris et Virginie T pour Taittinger à Bruxelles. « On a une vraie complémentarité entre la vision de la cuisine que peut avoir papa, la mienne et celle de David qui apporte beaucoup aussi ». David Beauvais, c’est le « petit nouveau » de la Maison Chabran, avec ses 30 ans d’expérience, prêt à relever le challenge, celui que s’est fixé Louis Chabran, « reconquérir la deuxième étoile ». A table, la ronde des saveurs se poursuit : cuisses de grenouilles, chips d’ail, persil frit, écrasée de pommes de terre et bouchée de caviar osciètre. Quand la noblesse s’associe à la simplicité, ça matche à merveille! Signé Maison Chabran, le Homard bleu « allumé » au whisky est une pure gourmandise. La viande cuite à basse température, qu’elle soit dos d’agneau printanier, pigeon estival de chez Chabert ou pintade fermière, fond en bouche. Un moelleux que le Cornas 2015, Les Méjeans de chez Jean-Luc Colombo vient surligner. On termine sur un parfum d’enfance avec le Croustillant aux fraises des bois. Rareté et vérité du goût.
ENTREPRENEURS DE PÈRE EN FILS
« On est des paysans ! Mes grands-parents avaient le bistrot et étaient courtiers en fruits. La nature, les bons produits, je sais ce que c’est ». Avoir le sens de la terre n’empêche d’avoir celui de la gestion d’entreprise. « 160 000 couverts par an, c’est une organisation tout de même » pour qui gère 90 salariés sur l’ensemble des établissements Chabran. Des projets, père et fils en ont plein la tête. « On repense entièrement la cuisine. On l’ouvre sur la rue, explique Louis. Un virage nécessaire ». La Grande Table aura bientôt son « jardin d’hiver ». A l’étage, l’ascenseur desservira six nouvelles chambres. Avant-gardistes, les branchés Chabran se font courtisés pour assurer la restauration d’un espace de coworking … Le Drive gastronomique, premier du genre, fait un carton pour la Saint Valentin. « On n’est pas en évolution, affirme Michel Chabran, on est en révolution de notre métier ! ».
29 avenue du 45ème Parallèle
26600 Pont de l'Isère
04 75 84 60 09
http://www.maisonchabran.com