© Arnaud Dauphin Photographie
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Voilà un bon quart d’heure que les lacets défilent à vive allure sous les roues de la voiture. A 1 600 mètres d’altitude, depuis la route de la Croix-Fry face au massif des Aravis, nous repérons au fil du chemin des plaques de rue émaillées à l’effigie de Marc Veyrat, indices laissés par le maître des lieux pour nous guider à travers sapins et bosquets. A l’arrivée, point de portail éclatant ni de voiturier clinquant, une simple barrière en bois signale notre intrusion au sein d’une propriété privée. Véritable sanctuaire d’un magicien de la terre, la propriété se foule à pied et suscite toutes les curiosités. Chapelle, rucher, serres à plantation, four à pain entourent la ferme d’hôtes, rien ne semble laissé au hasard.
Deux fois « 3 étoiles » au Guide Michelin, deux 20/20 au Gault & Millau, jamais un chef français n’a égalé son palmarès hors-norme. Loin des tables nappées et des lustres en cristaux, La Maison Des Bois est le nouveau projet de ce caïd de la cuisine qui ne fait décidément rien comme les autres. Après quatre années d’absence, celui qui a troqué sa toque pour son chapeau noir revient plus remonté que jamais face aux dérives de la malbouffe et au diktat des grandes surfaces. Bienvenue dans la maison de Marc Veyrat.
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RETOUR AUX SOURCES
Après 36 ans d’exil, ce savoyard dans l’âme ne pouvait rêver mieux en retrouvant sa terre d’origine, celle qui a nourrit sa créativité et son génie. « Toute mon enfance, j’ai habité en contrebas de cette maison construite à l’emplacement exacte de l’ancienne ferme familiale. » Avant de manier les casseroles, le jeune garçon a d’abord découvert les plaisirs de la ferme. « On tuait le cochon, on cueillait les myrtilles, on trayait les vaches, on ramassait les œufs de nos poules, on baratait notre beurre et on fabriquait notre reblochon nous-même », avant d’avouer, « je suis tombé dans la marmite à l’âge de 7 ans. Ce fût une véritable déclaration d’amour. »
Fier de l’apprentissage acquis, le cuisinier se considère avant tout comme un paysan, « je ne sais pas si je suis le meilleur cuisinier mais une chose est sûre, j’ai eu le plus bel apprentissage qu’un cuisinier puisse rêver, l’apprentissage de la terre et ce, jusqu’à l’âge de 28 ans. » Pourtant, les choses n’avaient pas si bien commencées pour l’enfant du pays. Renvoyé de l’école hôtelière après un trimestre, il retourne dans la ferme de son père et enfile les costumes d’éleveur de brebis et de moniteur de ski. « J’étais un électron libre, j’avais du mal à accepter une certaine ligne de conduite. Ça m’embêtait de devoir faire un feuilletage, un éclair au chocolat et un pot-au-feu. J’avais envie de modernité. » Obstiné, le jeune homme décide de retenter l’aventure en ouvrant, quelques années plus tard, dans sa bergerie du Col de la Croix Fry, un petit bistrot. Si la créativité est au rendez-vous, le manque de technique se fera vite sentir. Grâce à une stratégie ingénieuse, il ne tarde pas à combler ses lacunes. « Avec moi, j’avais engagé deux commis, ce sont eux qui m’ont appris la technique. Un an plus tard, je maîtrisais les bases. » Persuadé que les gens ne viendraient pas jusqu’à Manigod pour goûter sa cuisine, il décide alors de s’installer dans la commune voisine d’Annecy. Rapidement, il décrochera une première, puis une seconde étoile à l’Eridan. Lancé pour gravir les sommets, il en comptera à son actif la bagatelle de six. Seulement, le succès sera de courte durée. Frappé violement par un accident de ski en 2006, il vend son restaurant La Ferme de Mon Père à Megève et loue trois ans plus tard, l’Auberge de l’Eridan (Veyrier-du-Lac) à l’un de ses élèves, Yoann Conte. Symbole de renaissance après la tempête, La Maison des Bois inscrit une nouvelle ère dans l’empire Marc Veyrat.
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MARC VEYRAT, LA NATURE AU CŒUR DE L’ASSIETTE
Serpolet, calament, achat des Aravis, polypode, berce, épilobe, c’est une fricassée de mots et de mets pour le moins impromptus qui se retrouvent dans notre assiette. Intrigué par l’odeur que dégageaient les plantes en marchant dans les alpages par temps de pluie, Marc Veyrat n’a pas attendu bien longtemps pour les intégrer dans sa cuisine. Partisan d’une cuisine 100 % naturelle et biologique sans additifs ni fioritures, le chef savoyard va à l’essentiel en véhiculant un nouvel esprit, celui d’une cuisine minérale et pastorale. De la fourche à l’assiette, il contrôle chacun de ses produits et pour cause, sa ferme regroupent bon nombre d’aliments transformés au restaurant : grenouilles, lait, œufs, myrtilles et autres plantes sauvages sont cueillis et ramassés chaque jour par le chef et sa brigade qui délaissent les fourneaux quelques heures pour se glisser dans la peau de botanistes. A table, le repas prend des airs de sous-bois : yaourt de foie gras virtuel, jus d’oxalis des bois, hostie au carvi ; grenouilles de nos marais, crémeux de polypode ; truite sauvage de nos lacs alpins, émulsion de serpolet ; cèpe de Manigod sous le brouillard de la Croix Fry, sabayon à la Chartreuse,… provoquent une effusion d’arômes.
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« Mon père nous a transmis le sens du partage, de la convivialité et de l’échange. »
MAIN DANS LA MAIN
David Toutain, Jean Sulpice, Yoann Conte, Emmanuel Renaut, Edouard Loubet, Jean-Pierre Jacob, Stéphane Froideveaux, Massimiliano Alajmo, ces noms vous disent forcément quelque chose. Formés sous la houlette du professeur Marc Veyrat, ils font désormais partie de cette génération de chefs décomplexés qui ont redonné du goût et du caractère à la cuisine française. « Ce dont je suis le plus fier avec mes élèves, c’est leur attirance pour la nature. Là on peut dire que j’y ai laissé ma patte ». Conscient d’avoir été élevé à bonne école, Marc Veyrat accorde une attention particulière à la transmission. Ainsi, depuis quelques mois, le chef multiplie les cours de cuisine et les excursions dans le parcours botanique, chaque mercredi, en compagnie des plus jeunes pour les initier à « mieux manger pour mieux vivre ». A travers sa fondation, il leur explique que les œufs proviennent bel et bien du poulailler et non du supermarché mais aussi, que l’huile de palme, les colorants et arômes artificiels ne sont pas automatiques, en leur apprenant à faire un ketchup sans sucre ou une pâte à tartiner sans huile de palme. Remonté contre la malbouffe et les lobbies qui règnent sans concession sur les institutions, Marc Veyrat souhaite briser l’omerta sur un secteur encore trop sombre.
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LA MAISON DES BOIS, UN HAMEAU HORS DU TEMPS
Homme comblé, c’est face au Mont-Blanc et au Massif des Aravis que Marc Veyrat se lève tous les matins depuis sa chambre située à côté de sa salle à manger, composée d’une vingtaine de couverts à peine. Témoin de son enfance, ce chalet entièrement reconstruit adresse un clin d’œil aux anciens. Bien que les meubles en bois conservent le même design d’époque et que les vitres collées au sol du rez-de-chaussée donnent une vision sur l’étable du hameau, La Maison des Bois est bel et bien une maison du XXIème siècle. Baies vitrées XXL, fauteuils en cuir noir ou beige, éclairage à la bougie, poteries -conçues et réalisées par sa femme- et troncs de sapin remplacent les traditionnelles assiettes en porcelaine. En salle, pas de maître d’hôtel ni chef de rang mais des cuisiniers qui présentent eux-mêmes leurs plats aux convives. Pour pleinement profiter de cette bouffée d’air en pleine nature, l’enfant du pays a pensé à tout. Entièrement en bois et décorés avec élégance, il met à disposition de ses hôtes de passage, neuf logis de charme au confort moderne et au cadre d’autrefois. > Retrouvez la Maison des Bois sur www.marcveyrat.fr
Au cœur de l’assiette avec Marc Veyrat
Cèpe de Manigod sous le brouillard de la Croix Fry, sabayon à la Chartreuse
Le cèpe de Manigod est un trompe l’œil réalisé avec un sabayon à la Chartreuse, véritable référence de la région. Au-dessus, il est recouvert par un coulis de chocolat qui forme un mariage incroyable avec le brouillard d’humus. Réalisé uniquement à base d’humus, ce brouillard est 100 % naturel. Il ne contient aucun arôme synthétique. Cette mise en scène reproduit l’environnement naturel du cèpe, entre brouillard d’automne et sous-bois. Si le cèpe est présent virtuellement, on goûte surtout l’environnement de ce champignon. Trempé dans de l’azote liquide, plusieurs morceaux d’humus sont servis avec le dessert. Une nouvelle fois, vous êtes au cœur de la nature.
Truite sauvage de nos lacs alpins, émulsion de serpolet
Pêchée dans les rives du lac Léman, la truite sauvage est pour moi le meilleur poisson de lac. Avec sa chair ferme et pêchue, elle devance l’Omble Chevalier. Pour s’associer, cette truite sauvage avait forcément besoin d’une herbe sauvage comme compagnon. Avec ses arômes de citronnelle, le serpolet était le candidat idéal pour ce mariage d’amour. En surface, l’émulsion de serpolet donne l’impression d’un beurre blanc sauf que celui-ci est plus riche en bouillon de légumes qu’en beurre, ce qui donne lieu à une vraie émulsion. Dessous, la truite est cuite dans des écorces fraîches qui sont ramassées tous les jours. Remplies de sèves, ces dernières sont passées au four et donnent un résultat explosif. Quels arômes !
Yaourt de foie gras virtuel, jus d’Oxalis des bois, hostie au Carvi
Le foie gras est un produit qui possède une texture extraordinaire mais qui, aujourd’hui encore, suscite quelques réticences de la part d’un certain public. Afin de montrer toutes les qualités de ce met d’exception, j’ai souhaité l’inclure de manière virtuelle en réalisant une émulsion. Avec une seule tranche de foie gras, j’arrive à fabriquer une émulsion pour servir quatre clients. J’obtiens donc un résultat très léger ou seuls les arômes ont été conservés. A ses côtés, l’hostie de Carvi renvoie aux plaisirs primaires de l’animal. En effet, lorsque le canard sort de son enclos, il se précipite sur les plantes de la famille des ombellifères et plus particulièrement le Carvi qu’il va ponctionner à près de 50 cm de hauteur. Enfin, la présence d’Oxalis rappelle l’odeur des sous-bois, jamais très loin. Fortement amère, c’est l’herbe préférée des chevreuils.
Les grenouilles de nos marais, crémeux de Polypode
Le polypode est une plante de la même famille que les fougères. C’est l’un des endroits favoris des grenouilles pour se cacher. L’autre jour, nous avons ramassé quelques polypodes dans des cageots. Le lendemain matin, nous y avons retrouvé près d’une centaine de grenouilles. Suite à ce phénomène récurrent, j’ai fait la symbiose entre ces deux éléments et j’ai décidé de les réunir dans un seul et même plat. A table, le convive prend la cuisse de grenouille et la trempe dans le « crémeux » de polypode réalisé sans œuf, ni huile. En bouche, ce dernier dégage un côté très végétal marqué d’arômes de réglisse.
Route du Col de la Croix Fry
74230 Manigod
04 50 60 00 00
https://www.marcveyrat.fr/fr/restaurant.html#panneau-menus