Restaurant pharaonique !

Pour la rencontrer, il faut sortir de cette grande ligne droite encombrée qui mène à la Méditerranée. Il faut, comme en musique, en littérature, savoir apprécier les respirations, aimer les parenthèses et les points de suspension qui font durer le plaisir. Et, tout près de la sortie d’autoroute, loin de l’agitation du centre ville de Vienne, elle sera là. Face au tétraèdre de pierre romain, une pyramide de saveurs dont le sommet touche les étoiles, celles de Patrick Henriroux, acquises il y a 20 ans. Sans jamais oublier l’histoire du lieu, ce chef moderne a su lui en écrire une autre. L’institution est devenue un hôtel-restaurant classé Relais & Châteaux, récemment repensé dans les moindres détails avec le bon goût qui sied à une maison de ce rang.

Patrick Henriroux, créateur d’émotions

Quand il vous dit bonjour, la poignée de main est ferme et le regard bleu pétillant sans détour. Il se dégage de l’homme une force tranquille qui se retrouve en cuisine. Un chef calme sous pression froide. « Je déteste hurler. Si je dois crier, c’est que mon équipe est mal formée, donc que je leur ai mal appris. Si c’est un problème d’incompétence c’est que j’ai mal choisi mes collaborateurs. Dans tous les cas je suis fautif. »

Une grande humilité héritée d’une famille de terriens où la vie parfois ne fait pas de cadeaux. Faire face aux obstacles, prendre des virages dangereux, essuyer une tempête et continuer en attendant que ça passe, Patrick Henriroux connait. Pas facile en effet quand on n’est pas un enfant du pays et qu’on n’a pas trente ans de reprendre une institution et d’imposer sa griffe à travers une nouvelle cuisine. « Nous arrivions dans une maison familiale où régnait, très présent, le souvenir de Fernand Point qui a formé les plus grands. C’était important pour moi de conserver l’histoire du lieu mais sans trahir ma philosophie : « travailler sans oublier mais sans oublier d’être au goût du jour. » Une valeur défendue bec et ongles qui lui a permis d’obtenir ses deux étoiles en 1990 et 1992!

Sa cuisine, il la veut fine, élégante, moderne mais française. En Russie et en Asie où il forme les chefs à la cuisine française, il rapporte des idées mais ne les ressert pas dans son restaurant. « Je ne fais pas de World food. En cuisine il faut avoir un fil conducteur, une sensibilité comme une colonne vertébrale. Sinon on risque de se perdre. Je ne cuisine pas ce qui ne me ressemble pas. »

Sa passion : transmettre… la cuisine française aux chefs étrangers, son savoir-faire à sa brigade, sa passion aux visiteurs et apporter à tous une expérience globale et pas seulement culinaire. « Un client veut de la qualité, de l’authenticité, vivre un grand moment. Il est essentiel d’offrir de l’émotion et ça passe aussi par le cadre, le confort, l’atmosphère, l’accueil, le sourire, la gentillesse. Nous sommes avant tout des aubergistes, il nous faut ne jamais l’oublier. »

Christian Née, un MOF dans La Pyramide

C’est l’histoire d’un garçon qui voulait devenir routier et qui, par bonheur pour la gastronomie, a changé de voie. Un nouveau chemin qui l’a mené au Casino de Charbonnières, au Château de Pizay, au Pavillon de Sévigné, au Château de Divonne et enfin à La Pyramide où il officie depuis 1994.

Sur ce joli parcours, des obstacles sans doute et surtout une épreuve et pas des moindres, le Concours du Meilleur Ouvrier de France. Inspiré par des chefs bien connus et devenus MOF,  Christian Née un jour s’est dit « Pourquoi pas moi ? » Une aventure dont le chef de cuisine parle avec émotion. « C’est un concours qui dure deux ans, très difficile et que l’on doit préparer en plus de notre travail. Le stress est énorme, on est déconnecté, on ne pense qu’à ça. Heureusement la famille et les amis sont là. Ma femme Corinne gérait le quotidien et un ami restaurateur, Christian Poulet, a fermé son établissement pendant une semaine pour que je puisse venir m’entraîner. Un geste qu’on n’oublie pas. »

L’expérience lui permet d’accéder à l’excellence mais pour autant ne lui fait pas perdre le sens d’une nécessaire constante remise en question. « On apprend chaque jour et on a besoin de tout le monde pour être bon. La cuisine est un travail d’équipe. » Des paroles sensées pour un chef qui dit s’être assagi avec le temps, être moins nerveux, l’épreuve du Concours sans doute. « On reste rigoureux mais on est comme le bon vin, on se bonifie avec l’âge. »

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PH3 : la formule consacrée

Patrick et Pascale Henriroux avaient envie d’un lieu nouveau, contemporain et convivial mais ne voulaient ni un nouveau restaurant, ni une brasserie, ni un bistrot. Pour ces trois raisons ils ont créé en 2009, le PH3 un espace insolite où tout se décline autour du chiffre-symbole.

Une triple ouverture d’abord, matin, midi et soir qui permet aux clients de l’hôtel de prendre le petit déjeuner qu’ils désirent. Un chef présent à partir de 6H30 concocte des petits-déjeuners sur mesure (du brunch anglais au bouillon japonais). Chaque repas propose des menus à trois plats (3 amuses-bouche, 3 entrées, 3 desserts, 3 vins blancs…) Quant à la déco, elle obéit à la même loi (3 miroirs, 3 orchidées…) et dégage une atmosphère énergique grâce à des lignes épurées et des touches de couleurs acidulées. « Nous voulions du changement ; une cuisine moderne, de démonstration, ouverte aux sens ;  un lieu emprunt de créativité. »

Côté goût, la surprise réside dans le mélange des saveurs et le charme opère à travers une cuisine fine et inventive. La formule marche puisque le PH3 qui compte 28 places fait 17000 couverts par an ! « Le chiffre 3 est la clé des recettes réussies. En cuisine, tout est dans la gestuelle du 1, 2, 3 : un plat, une garniture, une sauce. Pour le jazz c’est pareil, c’est ce rythme ternaire qui fait naître cette incroyable mélodie. »

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Bertrand Lutaud, sommelier du monde

Avec un père pâtissier et un frère cuisinier, ce jeune franco-australien avait envie d’être de la partie tout en se singularisant. C’est chose faite à 17 ans lorsqu’il décide de suivre une formation en sommellerie à Sydney. La passion, la vraie, celle qui ne vous lâche plus, est venue pendant l’apprentissage. C’est là qu’il apprend à aimer la diversité des vins, leur originalité, sentir son palais « se faire », l’intérêt des accords mets et vins, les grands moments de dégustation. « Le monde des vins est tellement vaste. Il y a des vins fantastiques partout si on est ouvert. J’adore les vins blancs de la Grèce, du Chili et du Pérou par exemple. »

C’est à 24 ans que Bertrand Lutaud, pour se perfectionner, décide de venir dans le pays de la gastronomie, la France. En 2002, à La Pyramide, il commence en tant que sous-chef sommelier. Après cinq ans passés en Suisse chez Philippe Rochat, son attachement à la famille Henriroux et son affection toute particulière pour le vignoble rhodanien, le ramènent à Vienne en 2009.

La cave de La Pyramide compte entre 25 et 30 000 bouteilles. Sur les 600 références de la carte, 250 viennent du nord du vignoble rhodanien. Parmi elles, le sommelier nous livre ses préférences.

Les trois coups de cœur de l’hiver

> Condrieu « Chanson » 2009
Domaine Monteillet par Stéphane MONTEZ
« Son côté sec et aromatique accompagnera merveilleusement un foie gras poêlé servi avec des agrumes »

> Côte-Rôtie 2006
Domaine Jean-Paul et Jean-Luc JAMET
« Ce vin charnu où règnent la violette et le poivre sur un fond de fruits rouges est à servir sur un gibier sauce au poivre ou un plat très rustique accompagné de marrons, de courge ou de potiron. »

> Côte-Rôtie « Maison Rouge » 2008
Domaine Benjamin et David DUCLAUX
« Une bouche suave, mûre et subtilement boisée qui se marie parfaitement avec un carré d’agneau au thym et légumes provençaux tels que l’aubergine et la tomate. »