Le chef décline dans son restaurant dijonnais L’Aspérule, une cuisine de tradition française fleurie des parfums de ses racines japonaises. Une invitation au dépaysement que Keigo Kimura, dont l’établissement auxerrois a été distingué d’une étoile au guide Michelin en 2015, cherche sans cesse à améliorer. Avec patience, modestie et sérénité.

Il faut visualiser ce petit jardin gourmand, comme tout droit sorti d’un monde féérique pour se faire une idée de la personnalité du cuisinier qui se cache derrière. Observer la rigueur des tubes de langues de chat garnis de sorbet chocolat, la transparence des tuiles de poires, la rondeur des fruits, et la délicate mise en scène de chacun des produits pour imaginer ce qu’il se passe dans la tête de Keigo Kimura, chef de l’Aspérule. Ce restaurant, éclos à la fin du printemps dont il est le propriétaire, installé en toute confidentialité dans la rue Jean-Jacques Rousseau à Dijon, est en train de voir fleurir un à un les bourgeons de la réussite. Pour preuve, l’établissement à la décoration volontairement minimaliste, presque aseptisée, à la communication discrète, affiche complet tous les week-ends. Keigo Kimura préfère lui, se concentrer sur l’essentiel. « Ici, raconte le chef d’origine japonaise, pas besoin d’en faire trop. » Dans un décor blanc et soubassement noir, des tables rondes aux nappes blanches, débarrassées de toute vaisselle et argenterie s’articulent autour d’une colonne vertébrale : une banquette arrondie en cuir rouge, derrière laquelle court une demi cloison en contreplaqué. Brut, sobre, épuré, avec derrière un message clair pour le chef : que ses convives prennent plaisir à découvrir d’abord ce qu’il se passe dans l’assiette.

L'Aspérule
L'Aspérule
© Christophe Fouquin
L'Aspérule
L'Aspérule
© Christophe Fouquin
Canette Excellence Mieral, suprême grillé au Binchotan
© Christophe Fouquin

Inspiration japonaise

Dans cette ambiance aux accents japonais, pas de service guindé ni fioritures. La carte invite à travers deux menus égrainant seulement le nom des ingrédients principaux, à se laisser porter. Et de se concentrer sur la cuisine de Keigo Kimura, une cuisine dans le respect de la tradition française avec des notes fraîches et acidulées du Japon. Pas pour faire du japonais, se défend le chef, mais parce que sa cuisine se caractérise davantage par une réflexion de longue haleine, une inspiration. « Je ne suis pas de ceux qui font une cuisine à l’instinct souligne le cuisinier. La cuisine, ça vient du plus profond de soi. Moi, je réfléchis. Et je réfléchis encore. Les recettes, ça se passent d‘abord dans ma tête. Cela peut parfois prendre un mois ou être plus rapide. Après, quand on passe aux essais, c’est pour avoir la confirmation. » Une cuisine à l’effigie du patrimoine culinaire français donc, que Keigo vient twister de sa touche orientale, à l’image de son foie gras mi-cuit servi avec un condiment olives câpres, un croustillant de pain et d’un étonnant Ponzu, mélange de sauce soja, vinaigre et jus d’agrumes.

La cuisine, ça se réfléchit, ça vient du plus profond de soi.
Keigo Kimura

A l’Aspérule, la canette de Bresse est cuite puis fumée sur un charbon de bois japonais, le Binchotan dans une sorte de mini barbecue tout droit venu du pays du Soleil Levant installé près des traditionnels gaz de cuisson. Mais résumer la cuisine à cette association franco-japonaise serait un brin réducteur. « Je suis 100 % Japonais, c’est normal que mon inspiration viennent de mes racines, mais on propose avant tout une cuisine française raffinée, avec des recettes que j’aime et qui, je l’espère plairont aux gens.

L'Aspérule
L'Aspérule
© Christophe Fouquin

L’élégance à la française

Dans les assiettes de Keigo Kimura transpirent aussi l’élégance et la modestie d’un chef distingué d’une étoile Michelin dans son premier restaurant l’Aspérule, moins d’un an après son ouverture en 2014 à Auxerre. Une belle victoire que le quadragénaire doit sans doute d’abord à son état d’esprit : volontaire, il prend très tôt le chemin des cuisines. Un héritage de son grand-père et de son père. Après avoir fait ses armes dans le restaurant de sushis familial, ce dernier s’était déjà à l’époque tourné vers la cuisine française, en ouvrant une auberge de montagne. Pour Keigo Kimura, travailler cette gastronomie sonne rapidement comme une évidence.

Après s’être formé au Japon, il débute son parcours à Tokyo dans des restaurants exclusivement français avec très vite, l’envie d’en apprendre davantage sur la cuisine française. « Je voulais venir en France, je me suis donné cinq ans pour parfaire ma cuisine. C’était il y a dix ans », sourit le chef. Keigo Kimura passe alors par les cuisines de Joël Robuchon et Marc Veyrat, dont il loue la liberté de création, avant de rejoindre l’Yonne et le restaurant Les Bons Enfants à Saint-Julien-du-Sault pendant quatre ans. Il prend ensuite le poste de chef exécutif à Paris, au Sofitel Faubourg. Une belle adresse qui forge en lui une idée : celle de créer son propre établissement. C’est finalement Auxerre et la quiétude icaunaise qu’il choisit en 2014 pour ouvrir en avril, une table de 20 couverts en cœur de ville. Il ne lui faudra pas un an pour décrocher sa première étoile au guide Michelin. Keigo Kimura cherche alors sur place, un établissement plus grand, en vain. Il pose ses valises au printemps dernier à Dijon rue Jean-Jacques Rousseau, dans un espace qui lui permet de développer encore plus sa créativité. Vingt-cinq couverts et surtout, une cuisine plus spacieuse, le chef décline depuis une gastronomie qui fait honneur au patrimoine culinaire français.

Keigo Kimura en cuisine
Keigo Kimura en cuisine
© Christophe Fouquin
L'Aspérule
L'Aspérule
© Christophe Fouquin
L'Aspérule
L'Aspérule
© Christophe Fouquin

Cuisine de défi

Ici, la pomme de terre est servie en tube, pochée de longues heures dans un consommé de bœuf, enrubannée d’un fil du légume frit et d’une quenelle de caviar. Une idée qui lui vient de sa mère. « Elle faisait toujours un ragoût avec des pommes de terres et de la viande de boeuf. Un jour, je me suis dit que si les pommes de terre étaient croquantes, ce serait encore meilleur. » Un mélange de textures, pour un rendu visuel très graphique et des saveurs justes. A l’Aspérule, on ne demande pas la cuisson d’une viande ou d’un poisson. Rigoureux, Keigo Kimura l’a pensée pour qu’elle respecte d’abord le produit, le point de départ de sa cuisine. Dans son dessert du moment, les peaux des pommes prennent l’aspect de chips. Croustillantes, elles viennent réveiller la douceur de la brioche perdue et du sorbet aux coings qui l’accompagne. Derrière se cache là encore, la volonté d’utiliser le produit en entier, faisant ainsi honneur aux producteurs qui les cultivent et dont Keigo Kimura commence à tisser un solide réseau. Le chef revendique une cuisine qu’il aime et qu’il a envie de faire progresser. Son plat signature, le ris de veau du Docteur Kellog en est une parfaite illustration. Une recette dans le plus pur style français, avec un produit, et c’est là toute l’efficacité du chef, enrobé d’un étonnant mélange à base de pétales de maïs. L’idée a germé il y a longtemps dans la tête du chef japonais. Elle ne cesse de s’améliorer depuis. Auréolé de l’étoile Michelin dans son restaurant d’Auxerre, le cuisinier confie le secret espoir de décrocher à nouveau la précieuse distinction culinaire pour son établissement dijonnais. Son chemin de vie pourrait bien l’y conduire. Rigoureux, discret, passionné, travailleur, « mon challenge, cite le chef, est quotidien : le défi, c’est de rendre tous les jours les gens heureux. Avoir une étoile, oui ce serait un signe de reconnaissance. Mais la conquérir nous pousse surtout mon équipe et moi à nous améliorer sans cesse. » Avec beaucoup d’humilité, un euphémisme presque pour le personnage, Keigo Kimura retrousse les manches. « Sa cuisine, souffle son épouse Akiko, il y pense tout le temps, même en vacances. C’est son plaisir, sa motivation. » Son rêve serait de poursuivre l’aventure à la fois en France et au Japon. Une envie que le chef cultive patiemment.

mon challenge, cite le chef, est quotidien : le défi, c’est de rendre tous les jours les gens heureux. Avoir une étoile, oui ce serait un signe de reconnaissance. Mais la conquérir nous pousse surtout mon équipe et moi à nous améliorer sans cesse.
Keigo Kimura