Il se passe tout de suite quelque chose. Dès les premiers pas, l’énergie du lac vous attire.
Un magnétisme qui pousse à aller le voir de plus près. On oublie presque de regarder le nouveau décor. Et quel décor ! 5 mois de travaux pour offrir de nouveaux habits à cette vieille dame endormie dans son costume du dimanche un peu daté. Ouverte en 1903, l’Auberge du Père Bise a embrassé tous les honneurs et reçu d’illustres visiteurs, Winston Churchill, Jean-Paul Sartre, la reine d’Angleterre, pour ne citer qu’eux. Le mythe s’est construit autour de l’exigence de la famille Bise et de quelques plats emblématiques comme le gratin de queues d’écrevisses. Trois étoiles ont brillé pendant trente ans… Un passé prestigieux en héritage pour des nouveaux propriétaires qui n’ont pas froid aux yeux. Né à Aix-les-Bains, au bord du lac du Bourget, Jean a rencontré Magali chez Marc Veyrat, au bord du lac d’Annecy. S’installer ici, c’est un retour aux sources, une évidence. « On ne peut pas tout expliquer mais je suis intimement persuadé que c’était écrit », confie le chef. Avant d’écrire sur cette nouvelle page, le couple Sulpice a longuement mûri son départ. Val Thorens a toujours été une étape. Une étape ou plutôt un tremplin propulsant le chef au sommet de la gastronomie française. Mais à 2300
mètres d’altitude, la nature reste figée pendant 6 mois de l’année. Une contrainte aussi excitante qu’exigeante, finalement épuisante. Pendant plusieurs années, ils visitent des lieux mais n’arrivent pas à se détacher de leur coup de cœur : l’Auberge du Père Bise. Du jour où ils mettent les pieds ici, ils ne veulent plus aller voir ailleurs. Le défi est de taille, au sens propre comme au figuré. Convaincre une banque, monter un dossier solide et sortir du lot. Magali raconte, « comparés à certains investisseurs intéressés par le lieu, on était deux petits rigolos ! Charlyne et Sophie Bise ont été rassurées par notre projet. Nous ne voulions pas détruire le mythe mais lui donner une deuxième vie, à notre manière ».
© Photo Franck Juery
Où que vous soyez, le lac vient à vous. Dedans comme dehors, ses nuances éblouissent et offrent un spectacle de tous les instants. Le bleu canard présent un peu partout dans l’auberge vous immerge un peu plus dans cette ambiance paisible. Ici et là quelques vestiges hérités d’une autre époque comme la cheminée en pierre et les casseroles en cuivre où mijotent les recettes de Jean. « L’auberge et son environnement m’inspirent beaucoup. Mais j’ai besoin de temps. J’apprivoise l’environnement. Je respire, je regarde, j’écoute. Je ne suis pas pressé de créer des nouveautés. Les mêmes plats dégustés à Val Tho ou ici, c’est déjà une nouveauté en soi. Ma cuisine reste ma cuisine. Elle va évoluer, c’est certain. Mais mon style, il est là. Ce n’est pas parce que j’ai déménagé que je vais tout changer dans les », explique le chef. Dans l’assiette, la nature brute et sauvage se dévoile dans des interprétations gracieuses. Les saveurs sont autant de claques et de caresses, à l’image de l’omble chevalier au beurre de violette. Une fragrance envoûtante, surtout pas entêtante. Le plat emmène tout droit dans les bois sans faire de l’ombre à l’omble chevalier et sa chair délicate, cuite à la perfection. Avec ce plat, comme avec tout le reste du menu, Jean Sulpice prouve que, même s’il est descendu de ses montagnes, il continue l’ascension.
© Photo Franck Juery
© Photo Franck Juery
Un déjeuner en compagnie de Magali
Assise à table avec nous, Magali Sulpice s’est confiée sur la nouvelle aventure dont elle est la maîtresse de maison. Si elle a quitté la salle du restaurant, elle reste plus que jamais au service des clients.
Nouveau lieu, nouvelle vie, et surtout, nouveau métier : l’hôtellerie. Un sacré challenge, non ?
Le défi est de taille ! Tout le monde m’a dit: « Tu verras c’est facile ! ». Sauf qu’il n’y a rien de facile. C’est un apprentissage, ça ne se fait pas en un claquement de doigts. Après quelque temps oui, ça sera facile. Heureusement, je peux compter sur Claude, 35 ans de maison, pour m’aider dans cette nouvelle tâche. C’est une chance de l’avoir à nos côtés.
En quoi accueillir un client à l’hôtel n’est pas pareil qu’au restaurant ?
À l’hôtel l’échange est plus furtif. Le client récupère ses clés et s’installe dans sa chambre. C’est généralement le lendemain que des liens se tissent. Ces cinq premières minutes de contact sont donc essentielles. Au restaurant c’est différent. Le convive s’asseoit, on lui propose un verre, on discute du menu. La relation se crée dès le début. Et puis un client qui n’a pas aimé un plat, on peut rectifier le tir tout de suite. Un client qui a mal dormi, on peut difficilement lui refaire passer la nuit.
Comment est-ce que l’on gère une nouvelle équipe aux horizons différents ?
Les anciens de l’époque Bise, une partie de l’équipe de Val Thorens, les nouveaux venus… Passer de 25 à 70 salariés n’est pas une mince affaire ! J’appréhendais le mélange. Comme nous n’avons pas encore totalement pris nos marques, il faut laisser le temps à chacun de trouver sa place, ses repères. L’équipe de Val Thorens ne connaît pas bien les lieux mais connaît notre manière de fonctionner. L’équipe Bise, c’est l’inverse… Mais tout se passe bien. L’élan de nouveauté fait un bien fou à tout le monde.
La sommellerie c’est fini ?
Effectivement, je ne suis plus en salle pour conseiller et servir le vin.
Plus jamais le nez dedans alors ?
Forcément un peu, si. Je connais la cuisine de Jean par cœur alors je transmets des conseils à l’équipe. En off je ne vais pas vraiment lâcher, ça reste ma passion ! Mais je ne serai plus là pour servir le vin. La cave est entre les mains de François, ancien de l’époque Bise, et j’ai entière confiance en lui.
Le vin ne va pas vous manquer ?
C’est trop tôt pour le dire mais ça fait bizarre ! Il faut dire qu’avec les travaux l’hiver dernier, je n’étais déjà plus vraiment sur ce rôle. Il fallait suivre le chantier, s’occuper du recrutement.
Avez-vous débouché une bonne bouteille pour célébrer l’ouverture ?
Oh oui ! Au calme tous les deux avec Jean, en tête à tête. Une vieille bouteille, un Château Haut-Brion. On avait envie que la cave nous raconte son vécu. Parce que
nous n’avons pas simplement racheté une maison, on a racheté une histoire et ses trésors. La cave en est un. Il y a des pépites qui donnent le tournis, des verticales Pétrus et de Haut-Brion, des Margaux 55… Quelle chance de posséder ces mythes ! Ce sont des bouteilles qui se transmettent de sommelier en sommelier, elles font partie de l’ADN du lieu. Bref, c’était l’occasion pour nous d’apprécier et de réaliser que ça y est. On est chez nous. Un moment rare…