Dans le décor à l’épure étudiée du Neuvième Art, deuxième du nom, le repas est une ode à la délicatesse. L’œuf de caille, mollet, en croute de pain, présenté dans son nid, libère en bouche sa douce tiédeur. La petite gourmandise donne le ton. L’œil s’attardera sur l’exquise mise en scène de l’huitre et sa tartine d’automne. A la dégustation, huitre et couteaux délicatement pris dans une gelée tourbée, toast aux céréales et nuage d’écume « café grillé » forment un heureux mélange terre-mer. « J’ai toujours construit mes assiettes en pensant qu’elles seront belles. » A la manière d’un artiste, Christophe Roure dresse deux langoustines charnues, juste saisies, sur les rondelles orangées d’un butternut condimenté. Le tout est chapeauté de délicats pistils de safran. Texture, puissance et beauté du plat. Comme le peintre, mais avec une difficulté supplémentaire car l’œuvre va être consommée. Il y a du Joan Miro dans l’assiette de sa « Suggestion d’une promenade en sous bois ». Le style est partout. Dans le service, élégant, le design réfléchi des tables, les plats à l’esthétique gourmande, les vins suggérés. Tout justifie sans ostentation les deux étoiles décernées en 2015 à l’établissement lyonnais, quelques mois après son ouverture.

LA QUALITÉ DU PRODUIT, C’EST 50%DU RÉSULTAT
« J’ai passé beaucoup de temps dans la nature ». C’est peu dire que Christophe Roure est attaché à ses racines. Souvent il retourne à Couhande, ce lieu-dit du Puy de Dôme où vivent encore ses grands-parents. « Ma grand-mère cuisinait très bien. Petit, c’était pour moi un 3 étoiles ! » Les légumes du jardin, les volailles de la ferme, les fruits de la chasse et de la pêche de ses père et grand-père ont forgé son goût pour les produits sains. « La qualité du produit c’est 50% du résultat. Nous travaillons sur les 50% restants. » A Lyon, faute du jardinier de Saint Just-Saint Rambert, son premier restaurant, doublement étoilé lui aussi, Christophe Roure a dû tisser une relation de confiance avec ses fournisseurs. « Rien n’est pire que d’être trahi par le produit ».

Christophe Roure, chef 2 étoile michelin du restaurant le Neuvième Art dans le 6ème arrondissement de lyon et meilleur ouvrier de france

TOUT EST PENSÉ. TOUT A UN SENS. 
Si la saison guide ses créations, Christophe Roure s’appuie sur 30 ans d’une expérience qu’il s’est forgée dans les plus grandes maisons : Paul Bocuse, Pierre Gagnaire, Régis Marcon. Sa créativité l’a poussé à s’installer en avril 2003, vers Saint Etienne, « chez nous » dit Nati, son épouse, partenaire essentielle dans l’aventure. La 1ère étoile est arrivée neuf mois plus tard. Le talent de Christophe avait parlé. La 2ème étoile l’a consacré. Passionné, laborieux et éternel insatisfait de son travail, Christophe Roure est pourtant un maître en technique. On ne devient pas MOF 2007 par hasard. A Lyon depuis 2014, sa cuisine s’est « urbanisée », sans perdre une once de son âme. Son inventivité est le résultat d’un travail très réfléchi. Tout est pensé. Tout a un sens. A sa brigade lyonnaise, il demande « de l’intelligence dans le travail, pas seulement du savoir ».

Christophe Roure, chef 2 étoile michelin du restaurant le Neuvième Art dans le 6ème arrondissement de lyon et meilleur ouvrier de france

UNE VISION, DES VALEURS ET LE MONDE EN PARTAGE
Pour renouveler sa carte, Christophe Roure est à l’écoute des tendances, se nourrit de ses voyages, des cultures rencontrées. Son bœuf Wagyu en témoigne. « C’est un plat japonais travaillé avec du Black More, un bœuf australien, mariné dans de la sauce soja et de l’ail noir, issus de la culture japonaise, cuit au barbecue, un mode de cuisson qu’affectionnent les australiens. » L’alchimie des saveurs et la beauté sont également à l’œuvre dans l’escalope de saumon, devenue jardin aux corolles croquantes et acidulées. Cette pure merveille en bouche est notamment due à la double cuisson, au sel puis à 43° ; une technique issue du panel de travail du chef et conservée dans sa bibliothèque de recettes. Le Neuvième Art a aussi ses classiques comme les Saint-Jacques fraîches et truffe noire Melanosporum comme un œuf à la neige. « Quand vous avez 10 clients sur 10 qui vous disent que le plat est magique, vous ne l’enlevez pas de la carte. » Après le travail quotidien au restaurant, le chef Roure poursuit sa réflexion, restant « en éveil », surtout lors des phases de recherche de plats.

L’ASSIETTE DOIT AMENER À LA CONTEMPLATION
Fluidité et harmonie guident ses réalisations. Un héritage venu de ses séjours au Japon. Pour Christophe Roure, l’assiette doit amener à la contemplation, comme devant les jardins des palais de Kyoto. Le client doit être plongé ailleurs. « Certains clients ont tout compris : ça signifie qu’on a bien travaillé, en salle et dans l’assiette. » Et si ça ne prend pas, ce maître de 48 ans, au sourire d’enfant, a la modestie de penser qu’il a peut-être « loupé quelque chose » … Toujours critique à l’égard de son travail, le chef exige de sa brigade un engagement sans faille. D’Alexandre Bondoux, son second de 25 ans, il dit en plaisantant que « c’est un enfant », mais aussi un compétiteur. « On peut louper, on peut se faire engueuler mais ça doit servir à quelque chose. » Pour réussir en cuisine, le chef doublement étoilé du Neuvième Art, est formel : la cuisine, c’est comme le sport de haut niveau : il faut avoir un instinct de gagneur. Et de l’humilité, aussi. « Je sais ce que je fais de bien et de moins bien. Je travaille en interne. On ne devient bon qu’avec le travail personnel. » Marie-Pierre JOACHY