Anthony Bonnet est enfant de la balle et du pays, élevé dans la campagne des Monts du Lyonnais et l’amour du produit. Une vie au plus près de la nature qui a nourri, dans tous les sens du terme, ce jeune chef au regard franc, vrai terrien, attaché à ses racines et aux produits. « Mon père tuait les cochons. Mes grands-parents étaient agriculteurs… J’ai toujours ramassé du cassis, des châtaignes, des haricots. On avait nos lapins, nos poules, des gibiers. » On le devine solide, rigoureux, inébranlable dans ses convictions. Un homme de valeurs qui défend le goût et celui du travail bien fait. Il y a dans son discours le respect des gens et de leur production, beaucoup de sensibilité et quelque chose de retenu. Il n’est pas dans la mise en scène. Ne cherche ni l’attention, ni les compliments. Il a d’ailleurs longtemps fui l’exercice du tour de salle, préférant observer ses clients de la cuisine. C’est un chef qu’on apprivoise. Un puriste, un authentique par nature. « La question ne s’est jamais posé, j’ai toujours voulu faire ce métier. »

Anthony Bonnet en cuisine de Cours des Loges avec son second pour réaliser les plats du magazine

RACINES LYONNAISES
Son premier apprentissage l’emmène à Tarare, chez Jean Brouilly. Il y reste 4 ans avant d’intégrer l’équipe de Philippe Gauvreau, à la Rotonde. 18 mois plus tard, Anthony Bonnet croise brièvement le chef Nicolas le Bec dans les couloirs de Cour des Loges. Lorsqu’il quitte la maison, le restaurant gastronomique ferme. Anthony, reste second au Café-épicerie. « Le chef préparait les Bocuse d’Or et j’étais son commis, c’était très enrichissant. Lorsqu’il est parti, j’ai pris la suite. » Se pose ensuite LA question : monter son propre restaurant ou reprendre le gastro. « J’avais vraiment envie de le voir revivre. La famille Sibuet (propriétaires de l’hôtel NDLR) m’a soutenu et laissé une grande liberté. » Il n’a alors que 25 ans. Repéré par Gault & Millau dès 2007, il décroche ensuite, sans s’y attendre, une étoile au Michelin en 2012.

Chef Anthony Bonnet dans les cuisines de Cours des Loges à Lyon

AU PLUS PRES DE LA TERRE
On serait tenté de lui enfiler la toque de petit prodige mais le trentenaire revendique avec force son envie de prendre le temps, évoquant les cycles, les rencontres et la transmission. « Je ne me lève pas pour les récompenses. » Son moteur ? La quête incessante du meilleur. « Il n’y a pas de carnet d’adresses idéal mais pour créer un plat j’ai besoin d’être inspiré par le produit et son créateur. » Consciemment ou non, Anthony s’entoure de passionnés, comme lui. A l’écouter, ses fournisseurs le sont bien plus. Ce sont des partenaires. Chef engagé, impliqué très amont, à
l’image exigeante mais aussi bienveillante. Ses légumes, il en est très fier, viennent de la ferme de l’Abbé Rozier (Ecully), exploitation 2 fois centenaires rouverte sous forme de ferme pédagogique-chantier de professionnalisation. Il s’y rend très régulièrement pour cueillir, selon les saisons, des courges blanches de Lyon, du céleri perpétuel, des tomates monstrueuses. Le lieu est « un peu comme son jardin », ce qui ne l’empêche pas d’avoir le sien, dans les monts du Lyonnais, juste à côté de la maison qu’il a construite. Il vit là avec sa femme, excellente pâtissière, et ses 3 enfants de 2, 4 et 6 ans.

Table dressée du restaurant Anthony Bonnet de Cours des loges à Lyon

LE GOÛT DES HOMMES
Avec eux, il ramasse les escargots et la cire des abeilles. Il n’en dira pas plus. Ce jardin là, on le sent, est un peu secret. Il raconte en revanche ses aventures de petit garçon des champs, apprenti-jardinier à 6 ans ou éleveur de pigeon en culottes courtes. Des souvenirs qui ont indiscutablement façonné sa cuisine, familiale, végétale, intuitive ; et son tempérament de chef, militant du partage des savoirs et de la chasse au gaspillage. Il aime embarquer sa brigade à la découverte des fournisseurs et faire goûter aux producteurs leurs produits sublimés. Un travail autour et avec les gens. Aux clients, il raconte l’histoire de ces fromages affinés dans une petite cave où coule une rivière. Le grand-père est en charge du sel, parfois il en met plus. L’anecdote le fait sourire. Une lueur de malice pointe alors dans ses yeux. Gourmand, il énumère aussi le lait, le petit épeautre, l’huile, rare, de noisettes sauvages de l’Huilerie Beaujolaise, les baies de genévrier, les fleurs de sureau, les feuilles de figuier ou les champignons des peupliers, dénichés pour lui. Parfois, il sélectionne un seul produit par lieu. C’est le cas de son beurre, petite merveille de suavité qu’il aromatise avant de le présenter sur table en une seule motte généreuse.

salle du restaurant d'Anthony Bonnet à cours des Loges de Lyon

NATURE GÉNÉREUSE
L’homme a tout d’un perfectionniste. Ce qu’il avoue à demi-mot : « Je ne regarde pas en arrière, parce que je ne suis jamais content, je remets tout en question. » Ce qui explique un menu en perpétuel mouvement et son besoin primaire de préparer des produits bruts, entiers, inviolés.  « Je ne comprends pas qu’on puisse recevoir du tout prêt sous vide. Moi j’ai besoin du gras pour confire mes légumes, de parures pour mes sauces. La cuisine ce n’est pas juste cuire une viande et poser de la truffe. Utiliser les fanes, les épluchures, c’est une question de bon sens. » Cette évidente cohérence a tout pour plaire. Ce soir-là, l’omble chevalier s’accompagnait de fèves de cacao, d’une pointe de betterave et d’un crémeux d’oignon doux, avant de laisser la place à une envoûtante queue de bœuf effilochée, boostée au raifort et au céleri. En dessert : poire du Beaujolais cuite au four, caramel épicé, compotée de fenouil et anis sauvage. Les goûts sont marqués, aiguisés, et le mélange des genres, légumes-fruits-herbes fonctionne à merveille, apportant douceur ou fraicheur, sans jamais verser dans l’outrance du sucré-salé. Le tout sonne juste, printanier, soigneusement taillé, à l’image de ce chef jusqu’au-boutiste qui greffe méticuleusement ses histoires naturelles au cœur du Vieux-Lyon.