Que fait un marseillais en bordure des Terres froides ? « On s’est déraciné, on est originaire du sud de la France », explique André Taormina qui a passé toute sa jeunesse dans les vignes de son grand-père, à Collobrières, à côté du Lavandou. L’accent chantant pointe pour raconter leur installation à Saint-Didier de la Tour, un 7 juillet, il y a tout juste vingt ans. Angélique et André sont cuisiniers. A 23 ans, ils s’arrachent à Sanary et rachètent le restaurant du bord du lac Saint Félix, en nord Isère. C’est à dessein qu’ils choisissent de le baptiser l’Ambroisie, met divin de l’Olympe, et avec la bénédiction de Bernard Pacaud, chef de L’Ambroisie à Paris. Un nom qui sur prend les gens du pays pour qui ambroisie rime avec allergie. « Un mal pour un bien, plaisante aujourd’hui André Taormina : plante ou pas, ça fait parler de nous ! »


En 2019, la cuisine libre, instinctive et créative d’André Taormina lui vaut sa première étoile. « Ça faisait 15 ans qu’on essayait. Au départ, on avait ce moteur-là. Et puis, on avait fait une croix dessus. » Le jeune couple décide « d’enlever les menus ». André se libère, laisse parler sa vraie nature, ne s’interdit rien. « Mon identité culinaire, ce sont mes souvenirs d’enfance, c’est la Provence, c’est Collobrières », raconte celui qui a fait ses premières armes à La Pinède, aujourd’hui Le Cheval Blanc**, et plusieurs très belles tables. « J’ai ramené quelques touches de Provence en Isère. »
COQUILLAGES ET CRUSTACÉS
À l’Ambroisie, la terre côtoie la mer. Coquillages et crustacés … la Madrague flirte avec les rives du lac. Servi avec un vin blanc isérois, Verdesse des Feytaux 2022, aux notes ciselées, l’audacieux mariage du tourteau et de la framboise d’Izeron, nuage de riz soufflé, perles de kalamansi et herbes aromatiques qui donnent à chaque bouchée un relief particulier, étonne et séduit les locaux, ravit lyonnais, genevois et autres gastronomes venus de toute la France, désormais. Car l’étoile a mis un coup de projecteur sur Saint-Didier. « On l’attendait avec impatience, cette lumière », assure le chef. Comme le tourteau, « un des best-sellers de la maison », le succès du homard bleu de Bretagne ne se dément pas : juste saisi, dans son jus de carapaces dense et parfumé, avec sa raviole ouverte de courgette et fleurs d’ail. Divin, généreux et servi avec un vin du Languedoc, Domaine du Mas Terra, aux notes miellées pour adoucir la puissance du plat. « Les vins, c’est ma femme », précise le chef. « Jamais loin des cuisines », Angélique Taormina, cheffe et sommelière, compose la cave de l’Ambroisie au fil des rencontres.
UNE PRINCESSE MARIÉE AU CANTONNIER
Le menu Confiance déroule son offre gourmande. Tout droit sortie du menu Truffe, la pomme de terre, dans sa crème de truffe, coiffée d’une rappée de tuber estivium est un véritable shoot de truffe ! « La truffe, André est tombé dedans Chez Bruno, à Lorgues, précise Angélique. On a un biotope par ici ; on commence à avoir de la truffe en Isère ». En souvenir de son grand-père, le chef fume sa viande au bois de cerisiers. « On gardait la taille des cerisiers qui entouraient les vignes de mon grand-père pour griller les daurades, les entrecôtes à la fin des vendanges. Tout le village s’y mettait, le lundi ici, le mardi là-bas. C’était la fête tous les jours, parce qu’on faisait à manger tous les jours pour tous. Ce sont ces moments-là qui m’ont donné envie de faire plaisir aux gens. » Dans les grands bacs en corten du très graphique jardin d’herbes aromatiques, la bourrache, la consoude, les tagètes le disputent à l’oxalis, menthe, monarde, thyms et autres verveines plantées par Gabriel, douze ans, passionné de cuisine ; Noa, vingt ans, préfère le droit.


LE COL BLEU-BLANC-ROUGE : UNE QUÊTE
De la salle lumineuse aux tables de chêne blond, les reflets changeant du lac rythment la dégustation. Les pêcheurs y affluent, pour le sport : ici, c’est « no kill ». André Taormina, c’est la plume qu’il aime, la bécasse. Avec ses deux setters irlandais, ses « filles », une fois par an, il se fait plaisir. Le pigeon truffe et foie gras, lutté dans son feuilletage, n’a pas été chassé, lui. Un concentré de saveurs. Exceptionnel ! Les lames atypiques de couteaux aux manches moulés à la main d’Angélique Taormina par Jean-Loup Balitrand, tranchent sans peine les chairs cuites à la perfection. Membre de la Confrérie des abats, André Taormina excelle dans la préparation des ris de veau qu’il adore. Son graal : décrocher le col bleu-blanc-rouge : « un concours contre soi-même, le MOF, c’est du dépassement de soi, ça me plait », assure celui qui le retentera, c’est sûr. Membre du bureau de Teritoria (ex Collectionneurs) entre autres associations, le chef aime à rencontrer ses pairs, multiplie les « extérieurs », partage, parraine et découvre de nouvelles tables, en famille.
SUR LA TERRASSE CHANTENT LES CIGALES
En voisine, la Chartreuse se glisse dans un palet glacé pour rincer la bouche. En cuisine, Tommy Clad imagine les desserts. Sur un cercle de faisselle vanillée, il revisite une pavlova à la fraise, crème diplomate aux herbes du jardin, gel citron basilic et délicates pétales de meringues. Les Perles du Mont-Blanc du Domaine Belluard, perpétué par Mathieu Barré en hommage à son mentor, accompagnent avec bonheur un onctueux dessert au chocolat, inspiré d’une promenade au cœur du domaine d’Aiguenoire où distillent les pères Chartreux. La Provence s’invite à nouveau dans la tartelette abricot safran, le petit beignet « comme à la plage », la navette de Marseille et autres mignardises qui accompagnent le café. Et là, sur la terrasse chantent les cigales.
64 route du Lac
38110 Saint-Didier-de-la-Tour
04 74 97 25 53
https://www.restaurant-ambroisie.fr