Au cœur des ruelles mythiques du Vieux Lyon se niche le restaurant « Au 14 février ». Dans un écrin design fait pour le plaisir des yeux et des sens, la haute stature du chef Tsuyoshi Araï apparait en noir et blanc dans l’encadrement du passe-plat, comme sortie d’un film de Kore-eda. Si toute l’équipe est japonaise, ici, « la cuisine est française mais chez un chef japonais », souligne celui qui vénère la gastronomie française. « La cuisine française, c’est de l’art », assure-t-il. Originaire de Yamanashi, à deux heures de Tokyo, Tsuyoshi Araï s’est formé très tôt à la gastronomie française. Un art qu’il a cultivé ensuite auprès de chefs de renom dont Mauro Colagreco, au Mirazur. Le tout premier « Au 14 février » ouvre en 2009 à Lyon. Quatorze places qui s’arrachent pendant huit ans quand ses plats valent au chef Araï sa première étoile en 2011. L’enseigne se transporte rue du Bœuf une salle d’une élégance sobre. « C’est moi qui ait trouvé le lieu », assure le chef. On y célèbre toujours l’amour, mais pas seulement de ceux qui se dévorent des yeux. Ici, les amoureux le sont de l’art de recevoir et de cuisiner du chef Araï.

© Jonathan Thévenet

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L’importance du goût
L’inspiration du chef est étroitement liée à Lyon et son histoire, aux traditions de la capitale des Gaules mais aussi aux saisons et à la grande variété des produits locaux qu’il trouve au Marché Saint Antoine. « Ici, j’aime tout ; il y a de jolies rivières, des montagnes, tout ce qu’il faut pour faire à manger ». Une cuisine fusion entre deux cultures. « Tout est dans ma tête. Je cherche, je me pose des questions. J’ai besoin d’originalité, dans la technique et un peu dans le produit aussi. » Ses marqueurs ? Le goût, les cuissons, le dressage délicat, ciselé, comme un tableau miniature. En témoigne la boulette comme un takoyaki au céleri-rave, très présent, sublimée par la salinité d’un caviar Osciètre, huile de livèche et citron caviar. Yusuke Ishizuka, maitre d’hôtel et sommelier averti suggère un Chablis premier cru Vau de Vey 2022 du Domaine de L’enclos, de Romain et Damien Bouchard. Magnifique.

© Jonathan Thévenet

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Un subtil France-Japon
La truite fontaine de Beaufort, délicatement fumée, est une œuvre d’art en soi. Il y a du Klimt dans ces écailles de carottes en pickles aux rondelles colorées. Beau avant que d’être bon, fi n, frais, fondant et long en bouche. Un saké fruité vient jouer de sa rondeur grisante. Tout ici est raffinement. De la serviette brodée pliée façon kimono à la vaisselle qui joue avec les matières, entre porcelaine de Limoges et faïence émaillée de Jars. Véritable sabre miniature, le couteau surprend par sa courbe offensive. On est à la croisée de deux mondes qui fusionnent dans une exquise harmonie. Un France – Japon subtil qui sublime les produits. Dans la tradition lyonnaise, en grand admirateur de Paul Bocuse, le chef aime à mettre ses plats en scène. Ainsi, la volaille de Bresse, « peut-être l’une des meilleures au monde », souligne le maître d’hôtel, est présentée entière sur un lit végétal avant que d’arriver dans l’assiette : suprême de la volaille et une partie cuisse caramélisée au vinaigre de Xérès qu’accompagnent salsifis, courge spaghetti, purée de foie de volaille et une sauce au jus de volaille, soja et gingembre. Magnifiquement parfumé. Puissant et fruité, un Pommard premier cru de 2017, Domaine de La Jarolière, emporte sans peine tous les suffrages.
La délicatesse de la chair du Maigre de ligne
Avec son menu Q.E.D , formule latine qui signifie « la démonstration est ainsi achevée »(1), le chef Tsuyoshi Araï construit en huit plats un moment de plaisir gastronomique perfectionné et unique. Marquant aussi, le rituel de fin de cuisson du maigre de ligne dans son habit vert : trois minutes d’infusion chrono, en toute transparence, sur la table des convives, dans les vapeurs odorantes de feuilles de lauriers et bois de cèdre avant dressage final. Et l’on savoure la délicate chair du poisson, moules du Mont Saint- Michel, blanc de blettes, Sudachi, soulignés par une huile de homard, sublime touche finale. Une perfection qu’un Pouilly-Fuissé premier cru 2022 de L’Orangerie du Château des Quarts accompagne avec talent.
Kiss Kiss Kiss
Inspiré de Saint-Valentin, village d’Indre, « Au 14 février » met l’amour à la bouche avec son Kiss Kiss Kiss, une coque rouge baiser de chocolat blanc qui révèle un granité à la pomme et au saké, en préambule au dessert. Délicieusement rafraîchissant. En cuisine, le chef pâtissier sublime des desserts évocateurs qu’une étonnante Roussilière, à la bouche onctueuse et gourmande, résultat de vendanges tardives chez Yves Cuilleron à Chavanay, accompagnera. Optez alors pour la mythique « rose du Petit Prince » qui se laisse enfin approcher et déguster. À moins que les sommets enneigés dominant Nagano, décor délicat révélant un parfait glacé à la pomme Granny Smith sur sa coque de meringue, mousse de mascarpone, crème de marron du Japon et sauce aux châtaignes n’ait votre préférence ? Dans les deux cas, « à cet instant là, il ne peut y avoir une saveur supérieure » : Quod erat demonstratum. Les mignardises en trompe l’œil sont à l’unisson, délicates et malicieuses. Décidément, une adresse que l’on n’oublie pas.
(1) Quod erat demonstratum signifie la démonstration est ainsi achevée

























