Avec près de 2,2 kg consommés chaque année, les Français en raffolent. Frais ou sec, lacté ou parfumé, sous forme de bûche ou de crottin, le chèvre s’impose tout en finesse sur nos plateaux de fromages. Pour percer les secrets de ce mets que l’on s’arrache, c’est sur les hauteurs du village de Montcavrel que nous partons à la rencontre d’Éliane et Louis Leviel, éleveurs passionnés qui s’emploient à perpétuer la tradition fromagère. Si aujourd’hui Éliane partage sa journée entre la traite, la fabrication de ses fromages et la vente sur les marchés environnants, ce n’était pas vraiment ce qu’elle imaginait avant de rencontrer Louis. « À l’époque, mon père était boulanger et j’avais passé mon CAP pour devenir pâtissière. Au départ, j’ai poussé mon mari à trouver du travail en ville car je ne me voyais pas fermière. » Malgré ses efforts, Louis ne tient pas une journée en dehors de la ferme de ses parents. « Je me suis rendu compte qu’il lui était impossible de faire un autre métier, donc si je voulais le bonhomme, il fallait bien que je m’adapte. » Plus à l’aise derrière un comptoir qu’avec les vaches, Éliane décide alors de diversifier les activités de la ferme en ramenant du Poitou un premier cheptel de dix-huit chèvres. Après des débuts un peu hésitants, rares sont les fromages qui ne trouvent pas preneurs. Parmi ses plus fidèles admirateurs, ce n’est pas le chef de La Grenouillère*, Alexandre Gauthier, qui dira le contraire. « Éliane a un coeur comme ça, c’est un peu notre maman à tous, elle a toujours envie de faire les choses bien. Tout comme mon père avait commencé, je travaille désormais avec son fils Gaëtan et sa belle-fille Sophie. » Sensible au travail de la terre mais aussi gourmand, Alexandre a du mal à résister aux produits qui sortent de la ferme, « mes grands-parents avaient eux aussi une ferme dans le Jura. Je me souviens que l’on faisait bouillir le lait des Montbéliardes qui avait une crème très épaisse. On le laissait refroidir et on le mangeait ensuite à la cuillère avec un peu de sucre. Au final, ça se terminait toujours par une crise de foie car je n’arrivais pas à m’arrêter. »
© Arnaud Dauphin Photographie
AU PIED DU PIS
Sur l’horloge, les aiguilles annoncent huit heures tapantes. Les chèvres n’attendent pas. Tandis que Louis et Gaëtan s’occupent des vaches, c’est Sophie, la belle-fille, qui démarre la traite. À la queue leuleu, les chèvres défi lent par groupes de neuf pendant près d’une heure. Le lait à peine sorti, c’est le chat qui en profite en premier. Il se lèche les babines, c’est bon signe. Les chèvres quant à elles retournent prendre des forces. Pour être capable de donner deux litres de lait par jour, une chèvre peut avaler jusqu’à 2 kg de foin complétés par une portion de céréales (avoine, lin, flocons de maïs) récoltés à même l’exploitation. Si la nourriture reste l’ingrédient essentiel dans la réussite d’un bon fromage, la race de l’animal n’en est pas moins importante. Saanen, Alpine et Poitevine, chacune possède ses propres qualités. Derrière son caractère pantouflard, la première est la Formule 1 de la production laitière. Flexible, la chèvre Alpine s’adapte aussi bien en pâturage qu’en montagne. Enfin, rustique et sauvage, la chèvre Poitevine est la plus prisée. Riche en protéines et en matières grasses, elle produit des laits abondants en extraits secs qui, par conséquent, améliorent le rendement fromager et augmentent les qualités organoleptiques.
© Arnaud Dauphin Photographie
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FABRICATION 100 % ARTISANALE
Dès l’instant où le lait est récolté, c’est une course contre la montre qui démarre pour Éliane. En moins de deux heures, le lait doit passer de 37 °C à 22 °C, température à laquelle le ferment lactique est incorporé. Habituellement constitué en laboratoire, notre fromagère a fait le choix de le faire elle-même, « je ne voulais pas que mon fromage ait le même goût que celui du voisin ». Prenant le plus souvent l’apparence de lactosérum – le petit lait qui se trouve sur la faisselle – ou de fromage blanc, le ferment agit pendant vingt-quatre heures. L’ajout de quelques gouttes de présure – suc gastrique venu de l’estomac du veau – permettra en une journée d’obtenir le caillé, une masse blanche recouverte par un liquide clair plus ou moins trouble, le lactosérum. Indispensable à la suite de la transformation, cette étape doit être savamment vérifiée sous peine de manquer la présence d’une bactérie non conforme. Une fois tous les voyants au vert, le lait est versé à l’aide d’une louche dans des moules à faisselle qui sont soit préservés à une température inférieure à 4 °C pour être consommés sous forme de fromage blanc, soit égouttés pendant une nuit. Grâce à la présence de petits trous dans le moule, le lactosérum va s’évaporer petit à petit pour ne laisser que les protéines et la matière grasse. « 1 litre de lait contient 87 % d’eau. En l’espace d’une nuit, il ne pèsera plus que 130 g. » Retourné délicatement, il est alors salé sur une première face avant de passer une nouvelle nuit de repos. Le lendemain, c’est le jour J. Les fromages sont démoulés et salés légèrement sur la seconde face avant de rejoindre la chambre froide.
LE GOÛT DE LA FERME
Doux et frais, le goût du lait domine celui du chèvre, tout en finesse. Comme nous explique Éliane, cette particularité est celle de la fabrication artisanale : « contrairement aux fromages industriels, les nôtres n’ont pas le goût de bouc. Cette différence s’explique par l’ajout de ferments en laboratoire qui ont pour objectif de redonner le goût du chèvre au lait pasteurisé. » Si un grand nombre de fromages trouvent leurs acquéreurs sur les marchés avoisinants, pour les autres, la route est encore longue. Ramenés en laboratoire – durant 48 h – ils y développent leur geotricum, autrement dit leur moisissure naturelle. Le fromage est ensuite conservé en chambre d’affinage jusqu’à six mois dans une cave à 16 °C et 85 % d’humidité. En plus des 80 fromages qu’elle fabrique chaque jour, Éliane n’est jamais à court d’idées lorsqu’il s’agit de valoriser le patrimoine de sa région. Apérichèvres, fromage blanc mais aussi beurre, tartes au
maroilles ou encore gaufres à la vergeoise sortent de sa ferme. De quoi nous rendre définitivement chèvres !
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FROMAGE BLANC AU LAIT DE CHÈVRE
Pourquoi elle l’aime Faible en cholestérol, le fromage blanc de chèvre est l’allié idéal pour perdre quelques kilos superflus. Facilement conservable au frais pendant
dix jours, il garnit aussi bien nos recettes sucrées que salées.
Texture Fromage blanc dans lequel il reste du lactosérum
En bouche fin, doux, lacté
Affinage Aucun
Prix 2,80 € les 500 g
Dégustation Salade fraîche citron, melon, radis et pamplemousse ; miel ; ciboulette ; confiture
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CHÈVRE FRAIS
Pourquoi elle l’aime Tout juste démoulé, c’est un fromage qui a encore le goût de lait car il lui reste quelques gouttes de lactosérum. Grâce à sa faible quantité de présure, il sera moins élastique que de la feta par exemple.
Texture Mou, souple, pâteux
En bouche Doux, homogène, rond, fermier
Affinage 5 jours
Prix 2,60 € l’unité
Dégustation Noix, framboise, raisin, charcuterie.
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CHÈVRE SEC (3 mois d’affinage)
Pourquoi elle l’aime Après trois mois d’affinage, ce sont des arômes plus marqués qui prennent le dessus. Contrairement aux chèvres affinés cendrés, la texture de celui-ci s’apparente davantage à celui d’une tomme.
Texture Ferme, croûte sèche, pâte souple
En bouche Rustique, fruité
Affinage 3 mois
Prix 2,80 € l’unité
Dégustation Volaille, piment, miel, confi ture citron-abricot
19 rue de la Grenouillere
62170 La Madelaine-sous-Montreuil
03 21 06 07 22
http://www.lagrenouillere.fr