"Je trouve incroyable qu’un même type de vin puisse avoir un goût aussi différent d’un vigneron à un autre. C’est exactement le même parallèle qu’en cuisine, nous utilisons les mêmes produits pour des résultats qui ne sont pas du tout les mêmes. " Tomofumi Uchimura

Depuis près de 40 ans, le numéro 10 de la place Wilson participe au rayonnement gastronomique de la ville de Dijon. Le premier à avoir fait entrer assiettes et casseroles dans l’ancien relais de poste du XVIIe siècle est Jean-Paul Thibert en 1985. Il a érigé l’adresse au rang d’institution culinaire. Rapidement étoilé, le chef est resté aux commandes durant 16 ans jusqu’à laisser sa succession à Stéphane Derbord en 2001. Une passation qui fut plus que réussie au vu du palmarès de ce dernier : une étoile conservée et une adresse définitivement entrée dans la liste des incontournables rendez-vous gastronomiques dijonnais. Pour permettre à la belle histoire de se poursuivre, il fallait dénicher le chef qui allait accepter de relever le défi et qui aurait le talent pour le faire. Avec la reconquête de l’étoile cette année, Tomofumi Uchimura a prouvé que la relève était assurée.

En cette saison, la place Wilson est resplendissante. Son sapin de Noël s’illumine en fin d’après-midi, les allées du parc en perspective ont revêtu les couleurs de l’automne, le kiosque à musique a retrouvé son calme. En regardant la bâtisse qui abrite désormais le restaurant Origine, on ne remarque pas de changement particulier si ce n’est l’enseigne. C’est en entrant que l’on découvre une nouvelle ambiance. Après l’obtention de l’étoile en mars dernier, Tomofumi Uchimura et son épouse Seiko ont décidé de faire peau neuve. Du sol au plafond, le rafraichissement fait la part belle à la clarté et la luminosité. À table, les nappes ont disparu pour laisser place à la modernité. Une identité distinguée mais pas guindée qui s’accorde parfaitement avec les créations du chef qui, ne vous y trompez pas, pratique une cuisine exclusivement française de haute volée.

Restaurant Origine
Restaurant Origine
© Christophe Fouquin
Restaurant Origine
Restaurant Origine
© Christophe Fouquin

À L’ORIGINE

Ses racines japonaises sont évidentes à la lecture de son nom, Tomofumi Uchimura est originaire de Kagoshima, une ville du sud où la mer côtoie la montagne. Là-bas, la patate douce et le saké sont les deux produits de référence. Et pourtant, son père et son frère y tiennent un restaurant italien où Tomofumi a découvert son goût pour la cuisine. Mais pour lui, il n’y a pas photo, la cuisine gastronomique est française. Il entame des études culinaires et à 18 ans, se rend à Tokyo, et travaille dans plusieurs restaurants français. Il s’essaie à tous les postes pendant plusieurs années, le service, la pâtisserie, la cuisine : « Je connais tous les métiers de la restauration, cela me permet de respecter et mesurer l’importance de chacun d’entre eux », explique-t-il.

Son itinéraire français démarre en 2007, l’année de son départ de sa terre de naissance mais aussi celle de son arrivée au Flocon de Sel à Megève, sous les ordres du chef triplement étoilé Emmanuel Renaut. Contre toute attente, ce n’est pas l’intensité du travail qui lui a posé des problèmes d’adaptation : « Le rythme était plus souple qu’au Japon avec des jours de congés et des vacances. Les trois premiers mois ont été très difficiles à cause de la barrière de la langue », nous dit Tomofumi Uchimura. Pour cause, il ne parle pas un mot de français mais il apprend très vite. Autodidacte complet, le chef n’a jamais pris un seul cours et pourtant en l’écoutant, on constate qu’il est presque devenu bilingue, jusqu’à prendre nos tics de langage, nos expressions et même nos onomatopées. Là encore, il passe par plusieurs postes : la pâtisserie, la viande, le poisson. Sa passion pour la cuisine française se renforce, il apprend des techniques, des recettes et progresse.

Au bout de deux ans et demi de services rendus, il demande à son mentor Emmanuel Renaut quelle cuisine il pourrait intégrer pour apprendre de nouvelles choses avant de repartir au Japon. Ni une ni deux, le chef contacte la Maison Lameloise. Tomofumi Uchimura connait la réputation de l’établissement mais en a une image très classique. Trop classique ? Pas depuis la reprise récente des fourneaux par Éric Pras. Son choix est fait, il intègre l’équipe, devient chef de partie et très rapidement, on lui offre la possibilité de passer second.

Chiboust miel safran
© Christophe Fouquin

TERRE D’ADOPTION

Avec beaucoup d’humilité, Tomofumi Uchimura explique sa peur de ne pas être à la hauteur du poste qu’on lui propose, de la pression que cela implique et des qualités de manager d’équipe que cela requiert. Avec le recul, il prend conscience de la confiance que cela lui a apporté et des progrès immenses accomplis. Finalement, l’aventure dure 10 ans. Et la question du retour au Japon se pose.

À l’aube d’agrandir la famille, c’est en couple qu’ils feront le choix de rester, l’avis de son épouse Seiko étant primordial. En perspective, il y a la proposition en 2018 de Stéphane Derbord de reprendre son restaurant à Dijon et d’en assurer la pérennité. Après avoir travaillé à ses côtés deux jours par semaine en parallèle de Lameloise, il est temps de se lancer seul début 2020. Au grand désarroi de Stéphane Derbord, l’étoile est logiquement retirée à l’établissement en raison du changement de chef mais Tomofumi se donne comme objectif immédiat de la reconquérir le plus rapidement possible.

Déjà familiarisé avec la région qu’il apprécie particulièrement pour ses vins, l’adaptation est très rapide. Il fonde sa propre équipe composée de jeunes français et japonais et repense complètement la carte. Si certains pouvaient s’attendre à retrouver une cuisine fusion, il n’en est pas question pour le chef qui s’en tient à ce qu’il aime faire et ce qu’il maîtrise à la perfection, à savoir le répertoire français.

Restaurant Origine
Restaurant Origine
© Christophe Fouquin

HÉRITAGE & SIGNATURE

Au moment de composer sa propre cuisine, Tomofumi Uchimura a mis en œuvre ce qu’on lui a légué. Entre autres, l’importance de la naturalité transmise par Emmanuel Renaut. Ce chef formateur qu’il a vu se lever parfois à 5 heures du matin pour aller à la cueillette aux champignons et aux herbes sauvages. Au Flocon de Sel, Tomofumi a appris à se fournir à même la terre, à piocher dans son environnement direct, à connaitre les espèces de poissons des rivières alentours… Hors de question donc de ne pas cuisiner avec des produits locaux, autant que possible en tout cas. Avec 40 couverts à servir midi et soir dans son restaurant Origine, le chef peut se permettre de ne faire appel qu’à des petits producteurs pour l’ensemble de ses services. Ainsi, il conserve la même qualité dans chaque assiette. Auprès d’Éric Pras, il a découvert la culture régionale, les produits et les producteurs bourguignons qui lui sont aujourd’hui très précieux. De son travail aux côtés du directeur culinaire de la Cité internationale de la gastronomie et du vin de Dijon, il a appris la technique, l’exigence de régularité et de perfection. Origine est la synthèse d’un apprentissage auprès des plus grands mais aussi la signature personnelle d’un chef qui ne cesse de vouloir se dépasser et progresser.

Dans son établissement, les produits locaux et la saisonnalité passent avant tout. Si le menu change en moyenne tous les mois, le déjeuner surprise, lui, évolue jour après jour. Chaque matin, le chef et son second Ito Tsubfa, discutent avec les producteurs pour savoir quels produits ils sont en mesure de leur fournir. En fonc-tion des disponibilités et des arrivages, le chef s’adapte. Il lui arrive même d’aller à la cueillette avec sa brigade pour transmettre, à son tour, la notion de naturalité.

Tomofumi Uchimura
© Christophe Fouquin
Restaurant Origine - Tomofumi Uchimura
Restaurant Origine - Tomofumi Uchimura
© Christophe Fouquin

EXIGENCE & RÉGULARITÉ

Créer un plat est un exercice qui mêle imagination, technique et rigueur. Lors des essais avant de lancer une carte, le chef met un point d’honneur à ce que toute l’équipe goûte, y compris son épouse désormais hôtesse d’accueil mais aussi le sommelier qui va penser les accords mets et vins. Le chef explique : « Il arrive que je ne fasse que 2 ou 3 essais pour sortir un plat mais parfois il en faut 10. Cela dépend. La préparation des dressages est aussi très longue. ». Il ne perd jamais de vue l’harmonie du plat dont l’équilibre entre esthétique, couleurs, textures et goût est le résultat d’une technique sans faille. Le chef Uchimura laisse d’ailleurs très rarement un produit brut parler de lui-même : « J’ai besoin de travailler le produit pour montrer toute ma technique, cela fait partie de mon identité culinaire ».

Parmi ses plats signatures, on retrouve les escargots fermiers du Jura accompagnés de tête de veau et d’une émulsion de lait de coco ou encore un dessert au miel, safran d’Auxonne et anis de Flavigny. Mais aussi un gâteau d’avocat très surprenant qui s’affiche à la carte spéciale Végétal. Une autre spécificité d’Origine, c’est cette proposition permanente et gastronomique dédiée aux végétariens et plus largement à tous ceux qui ne souhaitent pas manger de viande. À travers chacun de ses menus, le chef tient à raconter une histoire des amuse-bouche au dessert, ce qui exige un travail de cohérence pensé dans les moindres détails. Tout, dans sa cuisine, est fait dans la finesse. Et pourtant, en toute modestie, sa recette française préférée est la tartiflette, qu’il revisite avec du Cîteaux, une saucisse de Morteau et du Chardonnay. Comme symbole de la France, il y a le fromage mais aussi le vin qui bluffe toujours autant le chef : « Je trouve incroyable qu’un même type de vin puisse avoir un goût aussi différent d’un vigneron à un autre. C’est exactement le même parallèle qu’en cuisine, nous utilisons les mêmes produits pour des résultats qui ne sont pas du tout les mêmes. » Chez Origine la cave est d’ailleurs bien garnie avec près de 8 000 bouteilles. Il n’y a pas de doute, la Bourgogne a adopté le chef, à moins que ce ne soit l’inverse ?

Restaurant Origine
© Christophe Fouquin

LA PREMIÈRE ÉTOILE

Au fil du temps, Tomofumi Uchimura a gagné en confiance. À tel point qu’il aime sortir de sa cuisine pour se rendre en salle et recueillir les impressions de ses convives. Pour lui, le client reste le plus important. Il reçoit donc les critiques avec bienveillance et considère que cela le pousse à progresser encore et encore. La critique suprême lui a sans aucun doute été adressée par le guide Michelin au bout d’à peine deux ans d’ouverture, puisque le confinement est passé par là.

Une étoile reçue comme une consécration par le chef et son équipe mais pas comme une fin en soi. C’est sans complexe qu’il déclare que l’objectif est d’aller chercher la deuxième puis la troisième. Il ne serait pas le premier à faire briller le numéro 10 de la place Wilson mais le premier à le rendre étincelant.