À Bouin-Plumoison, Robert Therry résiste encore et toujours à l’envahisseur. L’apiculteur devenu producteur d’hydromel s’est donné une mission, rendre son panache au nectar des dieux.

Imbuvable, grossier, écœurant… les qualificatifs peu flatteurs sont nombreux pour désigner l’une des boissons préférées du monarque François 1er. Longtemps considéré comme le nectar des dieux et des guerriers, l’hydromel a, au fi l des siècles, perdu ses lettres de noblesse. Bien loin des clichés qui l’entourent, Robert Therry tente de remettre au goût du jour ce breuvage ancestral. Localisé dans un hangar caché derrière un musée dédié à l’art de l’apiculture, la production du nordiste reste confidentielle. Parmi les quatre cuvées produites dans la fabrique de Bouin-Plumoison, une cinquième porte le nom du chef de La Grenouillère*, Alexandre Gauthier. Servi à l’aveugle dans une jarre à l’aide d’une pipette – avant le dessert -, le nectar remporte un vif succès qui a bien failli jamais voir le jour. « Je connais Robert depuis que je suis gamin mais j’ai découvert son hydromel il y a quelques années seulement. Au départ, je travaillais beaucoup avec lui pour son miel mais j’avoue avoir fermé les yeux sur sa production d’hydromel.

Aujourd’hui, il n’y a pas de doute, c’est pour moi le meilleur à plusieurs kilomètres à la ronde ».

 

Une ruche contient neuf cadres qui peuvent contenir jusqu’à 1,5 kg de miel.
Une ruche contient neuf cadres qui peuvent contenir jusqu’à 1,5 kg de miel.
© Arnaud Dauphin Photographie
Robert Therry
Robert Therry
© Arnaud Dauphin Photographie
Tous les 15 jours, Robert Therry s’assure que son hydromel se bonifie avec le temps.
Tous les 15 jours, Robert Therry s’assure que son hydromel se bonifie avec le temps.
© Arnaud Dauphin Photographie

UN NECTAR ANCESTRAL

Aussi à l’aise sur un dessert aux agrumes qu’un gibier à plume, l’hydromel de cette bourgade du Nord-Pas-de-Calais ne déroge pas à la tradition. Ici, pas de place à l’excentricité, la recette est respectée à la lettre. Composé d’eau et de miel, le nectar prend forme grâce à un procédé de fermentation 100 % naturel. Intégralement manuelle, la production se fait entièrement sur place. Aujourd’hui reconvertie en parc à ruches, elle débute dans le jardin de l’ancienne maison familiale qui rassemble près de 150 colonies différentes. Avant de se lancer dans la fabrication artisanale d’hydromel, qu’il transmet aujourd’hui à son fi ls Sébastien, Robert Therry est d’abord apiculteur. « mon père qui était menuisier avait ses propres ruches. Je suis né dans le milieu apicole amateur ». Vingt ans après avoir implanté ses premières ruches dans son jardin, le nordiste plonge dans le grand bain, « j’ai démarré de zéro. J’ai quitté ma fonction d’employé de banque pour monter ma propre activité ». De trois ruches la première année, la production n’a cessé de s’agrandir pour atteindre désormais près de deux tonnes de miel. Chaque année, ce butin se voit complété par près de sept tonnes supplémentaires venues des Ardennes et de la Bourgogne, permettant ainsi d’atteindre les neuf tonnes de nectar nécessaires à la production des dix-huit mille litres d’hydromel.

ÉTYMOLOGIE Ça veut dire quoi en grec ?
Reconnue dans la mythologie grecque comme la boisson des habitants de l’Olympe, l’hydromel serait en fait la plus ancienne boisson fermentée fabriquée par l’homme (eh oui, plus vieille que la bière et le vin !). Du grec hudromeli qui signifie « eau » (udôr) et « miel » (meli).
Alexandre Gauthier
Alexandre Gauthier
© Arnaud Dauphin Photographie

FRUIT DE LA RUCHE

Récolté à la fi n de l’été, il est le fruit du travail de deux familles d’abeilles qui se complètent. D’un côté, la Buckfast qui est une excellente ouvrière. Propre et peu agressive, cette race croisée est très appréciée des apiculteurs. Plus rustique et robuste, l’abeille noire – aussi appelée abeille d’Europe occidentale – est quant à elle considérée comme la Rolls-Royce de l’abeille. Rare, elle protège mieux ses réserves et résiste davantage à la rigueur hivernale. Très attachées à leur environnement, les abeilles ne travaillent que sous certaines conditions. « Si j’ai une colonie de fleurs mellifères à proximité, un sol humide, une température à 25 °C ainsi qu’un essaim de 70 000 abeilles par ruche, je peux remplir deux à trois cadres par jour. Cette situation exceptionnelle se produit deux à trois fois par an ». Retirés de la ruche autour de 1,2 kg, les cadres sont vérifiés tour à tour par l’apiculteur. Les alvéoles doivent être bien fermées sous peine que le miel récolté ne puisse être conservé. « Le miel est fait à partir du nectar de la fleur qui contient 80 % d’eau. S’il est prélevé trop tôt, il mousse car il est encore en pleine fermentation ». Déterminant dans la production d’hydromel, le miel est garant de la robe et des saveurs de la boisson finale. Si les plus utilisés sont les miels de tournesol, d’acacia et de colza, Robert Therry utilise quant à lui un miel « toutes fleurs » agrémenté de temps à autre par un miel de forêt pour certaines cuvées. Une fois la cire grattée à l’aide d’un couteau à dent, la cadre est positionné dans une centri-fugeuse. Petit à petit, les filets de miel jaillissent avant d’être filtré. Source de levures, les particules de cire récoltées seront conservées pour la fermentation de l’hydromel.

 

 

J’AI DÉMARRÉ DE ZÉRO. J’AI QUITTÉ MA FONCTION D’EMPLOYÉ DE BANQUE POUR MONTER MA PROPRE ACTIVITÉ

Robert Therry

 

 

DU MIEL À L’HYDROMEL

Après avoir hiberné en cuve pendant huit mois, le miel est plongé dans une grosse marmite au rythme de 500 g de miel – quantité variable en fonction du caractère désiré, demi-sec, sec ou moelleux – par litre d’hydromel souhaité. Au même moment, l’eau s’ajoute pour former une pâte opaque qui chauffera jusqu’à frémissement pour former une écume, signe que les mauvais ferments ont été retirés. Vingt-quatre heures plus tard, le nectar est transféré dans des fûts en chêne et va pouvoir commencer sa fermentation grâce à l’action des levures endogènes – nichées dans les particules de pollen et de cire – qui transformeront près de 70 % du miel contenu dans le tonneau en alcool. Si la fermentation est l’étape clé d’un bon hydromel, c’est aussi la plus difficile à maitriser. Procédé au long cours, il nécessite au minimum deux an-nées de vieillissement durant lesquelles il devra entre autres, être maintenu à une température constante de 16°C et être clarifié à l’aide d’un additif naturel, l’argile. Grâce à son poids, ce dernier aura pour rôle de regrouper les particules en suspension au fond du tonneau pour former la lie. A mi-parcours, s’en suivra alors, l’étape du soutirage durant laquelle la lie est séparée du nectar. Avant d’être embouteillé, une dernière vérification s’impose. « Le degré d’alcool ne doit pas être inférieur à 12.5 °C. Cela risquerait alors de provoquer une nouvelle fermentation en bouteille ». Tandis que nos yeux pétillent désormais à la vue du précieux nectar, Robert Therry rêve déjà d’un nouvel hydromel qui ferait cette fois-ci pétiller nos papilles.

Robert Therry & Alexandre Gauthier
© Arnaud Dauphin Photographie
Hydromels
Hydromels
© Arnaud Dauphin Photographie

HYDROMEL SEC (verre 1)

Pourquoi il l’aime Le moins miellé de toutes les cuvées, cet hydromel se démarque par son côté plus forestier. Son oxydation lui donne un caractère proche des vins du Jura au cépage savagnin.
Robe Orange-rouille, ambrée
Arômes Noix, beurre, fruits secs
Quantité de miel/L 430 g
Prix 8,50 € la bouteille
Dégustation Fromage à pâte pressée cuite (Comté), praliné, noisette, charcuterie

 

De l’hydromel en fermentation, ça ressemble à quoi ? (verre 2)

Une fois transféré en fût de chêne, l’hydromel fermente pendant deux ans. Durant cette période d’évolution, sa robe passe d’un jaune clair troublant à un jaune-or limpide. En bouche, c’est le fruit et la fraîcheur qui dominent sur la rondeur. Enfin, les bulles de gaz carbonique s’éclatent contre notre palais, signe que l’hydromel n’a pas encore terminé sa fermentation.

 

HYDROMEL MOELLEUX (verre 3)

Pourquoi il l’aime Plus miellé que les autres, cet hydromel se déguste aussi bien en début qu’en fi n de repas (avec modération bien sûr !).
Robe Or-orangé, ambre
Arômes Abricot, fruits jaunes, citron confit
Quantité de miel/L 520 g
Prix 8,90 € la bouteille
Dégustation Foie gras, pomme, melon

 

HYDROMEL DEMI-SEC (verre 4)

Pourquoi il l’aime Produite pour la première fois en 1988, cette cuvée est la plus ancienne de Robert Therry. Peu acide et tout en équilibre, elle se démarque par sa légèreté.
Robe Or, claire, limpide
Arômes Feurs blanches, agrumes
Quantité de miel/L 480 g
Prix 8,50 € la bouteille
Dégustation Gibier, canard, moules, Saint-Jacques