Joseph Viola, chef MOF des bouchons lyonnais daniel et denise à Lyon.

L’origine étymologique du mot bouchon fait débat. S’il ne s’agit pas du liège qui ferme une bouteille, il désignerait les branchages – bousche en vieux français – accrochés à l’entrée des cabarets pour les distinguer des auberges. Certains réfutent cette hypothèse et penchent pour le bouchon de paille mis à disposition des clients afin de frictionner leurs montures. A vous de choisir votre camp… Cette parenthèse lexicale refermée, poussons ensemble la porte d’un endroit dont la réputation n’est plus à faire. Chez Daniel & Denise l’histoire dure depuis 1968. Créée par Daniel Léron, l’enseigne a été reprise par Joseph Viola en juillet 2004. Dans une ambiance joliment désuète, tout l’attirail du parfait restaurant lyonnais est là. Ici les nappes se tiennent à carreaux et il en va de même pour la cuisine menée par un Meilleur Ouvrier de France, s’il vous plaît ! Alors forcément, niveau popote, ça dépote. Qui oserait insinuer qu’un bouchon est l’antithèse de la gastronomie ? Pas nous en tout cas, ni Joseph Viola. « Un bouchon c’est l’essence même de la gastronomie. Parce que c’est quoi la gastronomie ? C’est bien manger, se régaler de beaux produits bien préparés… La cuisine identitaire, celle de nos régions, a donné toutes ses lettres de noblesse à notre patrimoine culinaire ! » Aujourd’hui fervent défenseur d’une certaine tradition, il n’a pourtant pas hérité de racines nourries au tablier de sapeur et à la cervelle de canut.

Joseph Viola, chef MOF des bouchons lyonnais daniel et denise à Lyon.

CELUI QUI NE BOTTE JAMAIS EN TOUCHE
Fils d’immigrés italiens arrivés dans les Vosges au début des années 60, Joseph Viola naît en France au sein d’une fratrie de sept frères et soeurs. Midi et soir, la mama s’active aux fourneaux pour sustenter toute la famille. Chaque repas devient alors une fête, un moment unique de partage et de convivialité. S’il se rêvait joueur de football, ça sera plutôt avec les ballons de rouge qu’il occupera le terrain. Devenu cuisinier par passion du goût, le jeune Pépo (son surnom) travaille gestes et techniques jusqu’à plus soif. En apprentissage il ne prend jamais de pause, il reste des heures aux côtés de ses ainés pour s’abreuver de tout leur savoir. La passion vire presque à l’obsession. « Un soir, j’attendais ma mère à la sortie de son travail, chez Bragard, le fabricant de tenues de cuisine. Je découvre une affiche avec un monsieur vêtu d’une veste blanche au col bleu blanc rouge. Le lendemain, je déclare à mon chef ‘ je vais m’acheter une nouvelle veste ! ‘ Celle qui a le col tricolore ! Il m’explique alors qu’elle se mérite. » A l’époque, il ne se doute pas une seule seconde que le concours allait lui donner autant de fil à retordre. « En 2000, je loupe la finale du MOF à cause de mes plats envoyés avec 8 à 10 minutes de retard. Lorsque je suis entré dans la cuisine, j’étais comme tétanisé devant les fourneaux, je n’arrivais pas à me mettre au travail. Cette immense pièce, un hall de gare… je suis resté comme un con », se souvient-il avec précision. Inconsolable, déçu de sa prestation, Joseph Viola mettra six mois à s’en remettre, se questionnant même sur un possible changement de profession. Encouragé par son épouse Françoise, il enfile à nouveau le tablier lors de la finale du concours en 2004 et réalise alors son rêve de gosse.

Joseph Viola, chef MOF des bouchons lyonnais daniel et denise à Lyon.

LA TRADITION AU GOÛT DU JOUR
Naturellement, on se demande pourquoi un cuisinier de cette trempe n’a pas brigué les étoiles dans son propre établissement. Passé par les brigades de Michel Guérard et de Jean-Paul Lacombe, en tant que sous chef et chef, il connaît l’exigence et la rigueur d’un service étoilé. Pourquoi Daniel & Denise? Pourquoi un bouchon lyonnais? Le destin, sans doute. « De temps en temps nous venions manger ici avec Françoise. En 2003, elle m’a poussé à voler de mes propres ailes. J’ai appelé Daniel Léron pour savoir si son établissement était à vendre. Tout est parti de là. » De là, Joseph Viola n’en partira pas mais poussera le bouchon un peu plus loin. Chef actif et dynamique, il dépoussière la tradition sans lui retirer sa jolie patine. En 2012, il ouvre un deuxième établissement quartier Saint-Jean dans le vieux Lyon. En 2015, il s’installe à la Croix-Rousse. Les deux petits derniers jouent le répertoire de la grande sœur, sise rue de Créqui, à la quenelle près. Et parce que cet affamé de défis ne s’arrête visiblement jamais, il s’est récemment lancé dans la culture de son propre jardin potager – situé dans le parc de Miribel Jonage – avec l’aide et le soutien de Gérard Essayan des Jardins de Vartan. « Quel bonheur de recevoir tous les jours des légumes frais, des produits choisis, choyés…» s’enthousiasme le cuisinier. Cuisinier ou plutôt chef de famille nombreuse… trois restaurants, un potager de deux hectares, une marque de conserves artisanales, et, tout bientôt, une épicerie à Villeurbanne. « A mes débuts ici, je ne pensais pas autant me développer. Et puis les occasions se présentent… Pourquoi ne pas faire de Daniel & Denise une marque ? Aujourd’hui j’espère que l’on ouvrira des restaurants dans d’autres villes. » Reste à savoir si, un jour, il y aura un Daniel & Denise en Italie, histoire de boucler la boucle !