Avant de poser sa malette de couteaux au 79 de la rue Saint-Dominique, Jean-François Piège rêvait d’un endroit comme celui-là. à Thoumieux, il reçoit chez lui, dans une maison où chaque étage révèle ses secrets, pour une expérience singulière et délicieuse.
Thoumieux
© Arnaud Dauphin Photographie

Du faste des palaces au luxe discret d’un boudoir

Jean-François Piège traverse les genres et les époques avec une facilité déconcertante. Le lundi soir dans votre salon, il a cette bonhommie qui vous donnerait presque envie de le tutoyer et de lui taper sur l’épaule. Etrangement, l’attitude est toute autre lorsque les convives du restaurant se retrouvent face à lui. Un silence presque religieux berce la salle, le temps s’arrête. Il faut dire que l’homme a fière allure et inspire le respect. Sa popularité n’a d’égale que la simplicité avec laquelle il reçoit. Dans son cocon, au premier étage de Thoumieux, il marque un virage net avec la cuisine de palace qu’il a longtemps côtoyée. Loin de retourner sa veste, Jean-François Piège aspirait tout simplement à autre chose. Retour sur son parcours.

1970 Naissance à Valence, le 25 septembre.

1987 Ecole hôtelière de Tain l’Hermitage. à l’issue de sa formation, il passera un CAP pâtissier, étape indispensable pour maîtriser le sucré. « Je n’ai pas le talent d’être un grand pâtissier mais cette formation était nécessaire pour être un cuisiner complet et indépendant. »

1988 Il intègre la brigade du Chabichou à Courchevel. « Une très belle maison familiale, idéale pour appréhender le métier de cuisinier. »

1989 Rencontre de Bruno Cirino, chef du château Eza à Eze (aujourd’hui chef de l’Hostellerie Jérôme à la Turbie). « C’est une rencontre essentielle dans ma vie. Il m’a appris à faire un jus, à comprendre l’importance du savoir dans la cuisine. Il m’a poussé à me dépasser et m’a motivé à rejoindre la brigade du Crillon. A mes yeux, c’est l’un des plus grands chefs en France. »

1990 Chef de partie à l’hôtel de Crillon sous Christian Constant. à cette époque, Yves Camdeborde et Eric Frechon sont les deux adjoints.

1991 Il effectue son service militaire à l’Elysée où il apprend les règles strictes du protocole.

De 1992 à 1996 Sous-chef du restaurant d’Alain Ducasse au Louis XV à Monaco.

De 1996 à 2000 Chef du restaurant d’Alain Ducasse au Relais du Parc (ancien restaurant de Joël Robuchon) à Paris.

De 2000 à 2004 Chef du restaurant d’Alain Ducasse au Plaza Athénée à Paris. « En 2000, j’ai envie de m’émanciper. Alain Ducasse me propose alors le poste de chef au Plaza Athénée avec l’objectif de décrocher les 3 étoiles. On les obtiendra en 2001. En parallèle, j’ai participé à l’élaboration du Grand Livre de Cuisine d’Alain Ducasse. Pour le passionné de livres que je suis, c’est une immense fierté ! »

De 2004 à 2009 Chef du restaurant Les Ambassadeurs à l’hôtel de Crillon à Paris. Il obtient la deuxième étoile en 2005 et Gault&Millau le consacre chef de l’année en 2007.

2008 Première apparition télé dans Un Dîner Presque Parfait la finale des régions sur M6.

2009 Ouverture de la brasserie Thoumieux. « En 2008, avec mon associé Thierry Costes, j’ai eu l’occasion de racheter cet endroit qui correspondait en tous points à nos attentes. Et nous avons fait les choses à l’envers ! Habituellement on débute les travaux par le haut, nous avons commencé par le bas ! On ouvre généralement le grand restaurant puis la brasserie. Encore une fois, nous avons fait l’inverse ! »

2010 Ouverture du restaurant Jean-François Piège et première saison de Top Chef. « Si nous avons la chance que ça fonctionne aujourd’hui, c’est en partie grâce à cette émission.
Au début je dois avouer que le genre, un peu nouveau, faisait grincer les dents de mes pairs. Mais passer à la télé, ça ne veut pas dire abandonner la qualité et les étoiles pour autant. »

2011 Ouverture de l’hôtel Thoumieux. La même année, le guide rouge décerne deux étoiles au restaurant Jean-François Piège. Il est élu Chef de l’année par la revue Le Chef.

Thoumieux
Thoumieux
© Arnaud Dauphin Photographie
Thoumieux
Thoumieux
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Thoumieux
Thoumieux
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Thoumieux
Thoumieux
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Thoumieux
Thoumieux
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Thoumieux
Thoumieux
© Arnaud Dauphin Photographie
Thoumieux
Thoumieux
© Arnaud Dauphin Photographie

Sa cuisine : un concentré d’émotions

La cuisine de Jean-François Piège se résume difficilement à un style particulier. Elle s’envisage plutôt dans une globalité, dans l’art de manger. Mais s’il fallait la définir plus précisément c’est « une cuisine d’émotion avec une place importante au jus, à la sauce et la profondeur de goût ». N’allez pas chercher de menu dégustation ou de menu unique. Le chef bouleverse les codes en proposant aux convives de choisir leur Règle du je(u). Ici pas de produit mais des ingrédients. Pas de mises en bouche mais des hors-d’œuvre. Dans une philosophie de cuisine en mouvement, dans son époque, « l’architecte du menu c’est avant tout le client ». De la gastronomie de palace, il en conserve l’élégance, la précision et la rigueur. Pour le reste, l’esprit est plus libre, moins codifié. Dans une certaine simplicité, il réussit alors à déclencher des émotions fortes avec des plats devenus emblématiques comme le homard, le blanc-manger ou encore les crèmes aux œufs. « Je ne fais pas ce que j’aime, je fais ce que les autres vont aimer. Mais il ne faut pas faire n’importe quoi pour plaire. Il faut chercher le plaisir de l’autre, c’est ça mon métier finalement ». Un étage au-dessous, la brasserie décline un tout autre registre. Si les propositions partent de plats classiques, Jean-François Piège s’amuse à les réinventer pour leur donner une fougue plus actuelle. C’est ainsi que les calamars sont accommodés à la carbonara, la pizza n’est plus plate comme une planche à pain mais bien gonflée et le grand plateau cuisine les coquillages et crustacés sur trois étages.


 

La cuisine c’est une histoire de transmission. On apprend à travers le savoir des autres, des livres, mais il ne faut surtout pas les recopier.
Jean-François Piège
Gateaux Thoumieux
Gateaux Thoumieux
© Arnaud Dauphin Photographie
Gateaux Thoumieux
Gateaux Thoumieux
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Hôtel Thoumieux
Hôtel Thoumieux
© Arnaud Dauphin Photographie
Hôtel Thoumieux
Hôtel Thoumieux
© Arnaud Dauphin Photographie

Les lieux : 3 univers

Petit par la taille mais grand par le plaisir qu’on y prend, le restaurant gastronomique est un boudoir résolument douillet. La décoration, imaginée par l’architecte India Mahdavi, est un impressionnant mélange des genres. Les motifs sont toujours très graphiques, les matières agréablement chaleureuses et les couleurs tantôt pimpantes, tantôt reposantes. à cela s’ajoute la patte des artisans graphistes M/M, créateurs du fil d’Ariane qui nous guide dans l’ensemble de l’univers Thoumieux. Racheté en 1923 par Martial Thoumieux, la brasserie était un ancien Bouillon Chartier. En 2009, Jean-François Piège et Thierry Costes lui donnent une nouvelle jeunesse tout en conservant ses atours traditionnels : banquette rouge, moulures Lalique, chapelière avec barre de laiton… L’hôtel a été conçu comme une maison de campagne à la ville. Comme au restaurant gastronomique, l’atmosphère est unique et chaleureuse. Chaque détail est minutieusement pensé pour passer une douce nuit au pays des rêves.


A la brasserie Thoumieux, les réjouissances sont facétieuses et affolent les sens comme ces calmars à la carbonara.
© Arnaud Dauphin Photographie

Les goûts et les couleurs du chef

A&G : Une qualité qui vous caractérise ?

JFP : Je suis déterminé.

Un défaut ?

Timide. Et parfois cette timidité me rend distant.

Votre livre de chevet ?

Pour le moment aucun mais je vais lire la biographie de Steve Jobs. Cet homme a quand même changé nos vies !

Vos vacances idéales ?

Avec les gens que j’aime, au soleil.

Amateur d’art ?

Oui, inévitablement. J’ai toujours pensé que la cuisine n’était pas un art, mais finalement l’art c’est une émotion. L’art doit nous faire ressentir quelque chose. à partir de là, il est omniprésent et donc dans la cuisine.

Le film que vous avez déjà vu 50 fois ?

L’Aile ou la Cuisse avec Coluche et Louis de Funès.

Vous ne sortez jamais de chez vous sans ?

Mes clés !

Un groupe de musique qui tourne en boucle ?

Téléphone, j’adore Jean-Louis Aubert.

Un objet porte-bonheur ?

Je n’en ai pas !

L’incontournable de votre dressing ?

Les chaussures. Ca doit être mon côté féminin !

Un autre métier que vous auriez aimé exercer ?

Designer. Pour m’occuper du bien-être et du confort des autres.

Jean-François Piège
© Arnaud Dauphin Photographie