
© Arnaud Dauphin Photographie
3 HOMMES, 1 FROMAGE
De l’éleveur au fromager en passant par l’affineur, la route du fromage est longue. Dernier maillon de la chaîne, l’affineur apporte au fromage ce petit goût de reviens-y grâce à un savoir-faire mêlant à la fois le respect du temps et l’alliance des gestes qui participent à la révélation cruciale des arômes. Seulement, comme c’est le cas en cuisine, il est difficile de bonifier un fromage qui n’a pas été fabriqué dans les règles de l’art. Pour mieux comprendre les enjeux de cet art, c’est au cœur des prairies normandes qu’il faut se rendre, là où les vaches pâturent un tapis de verdure bien fourni. En effet, si la recette pour obtenir un lait riche et parfumé paraît simple en apparence, c’est un véritable travail journalier auquel les éleveurs sont soumis pour fournir à leur bête le meilleur de la nature. « Plus que la race, il est primordial de bien sélectionner la nourriture que l’on donne aux animaux. Les vaches doivent avoir assez d’espace pour manger à leur faim et se déplacer au rythme qui leur convient », nous indique François Olivier, fromager-affineur du chef Alexandre Bourdas, à Rouen. Une fois le lait cru récolté, l’éleveur laisse son butin au fromager qui va le « solidifier ». En premier, vient alors la coagulation, période durant laquelle le lait va se cailler grâce à l’ajout de présure, un enzyme issu de l’estomac des jeunes veaux élevés au lait. Se poursuit ensuite l’égouttage, phase qui consiste à retirer une quantité d’eau plus ou moins importante -selon le type de fromage- présente dans le caillé. Si cette étape se révèle comme étant la dernière pour les fromages frais, pour les autres, c’est l’affineur qui est en charge d’en extraire le meilleur.
BIBERONNÉ AU FROMAGE
En plus du temps, la maîtrise de l’homme est essentielle à chaque étape de l’affinage, « chaque jour, le lait est récolté matin et soir pour la fabrication des fromages. Nous sommes dépendants de la qualité du lait qui peut fluctuer en fonction du climat, de la saison et bien sûr de la nourriture des bêtes. Notre travail d’artisan est d’être réactif chaque jour en fonction de ce que la nature nous donne. » Confronté aux imperfections qui font partie du jeu, François Olivier a réussi au fil des années à inverser la tendance en les transformant en atout. Afin d’apporter les soins les plus justes, le métier d’affineur demande une très bonne connaissance des fromages. Petit-fils d’épicier et fils de fromager, notre hôte a été formé à bonne école. « Même si je suis né dedans, ça ne m’a pas empêché de faire un tour de France durant lequel j’ai moi-même appris à fabriquer du fromage. » Puis, il complètera son apprentissage en grande distribution et traversera la Manche direction l’Angleterre, dans une fabrique de cheddar. « La France et l’Angleterre n’ont pas la même notion de la qualité. Eux c’est l’hygiène d’abord et nous, c’est le goût. » A son retour, il se met à son compte et se lance pour de bon dans le grand bain.

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MAGICIEN DU GOÛT
Si dans sa boutique tout s’apparente à une fromagerie normale, c’est un étage en dessous qu’il faut se rendre pour entrevoir l’étendue de son travail d’affineur. Le long d’un couloir étroit, deux caves renferment près de 90 fromages différents. Exigeant, chaque fromage a besoin de sa propre température et de son propre taux d’humidité pour donner une pâte parfaitement onctueuse et parfumée. « La difficulté principale d’un affineur est de jongler entre les différents types de pâtes. Tandis que les fromages frais devront être séchés, les pâtes pressées cuites (Comté, Beaufort, etc.) nécessiteront quant à elles d’être assouplies.» Ainsi, chaque fromage dispose de son propre programme de soin. Tout juste arrivés, les fromages de chèvre sont déposés sur des pailles de seigle qui absorbent l’humidité et les sèchent sans les chauffer. Chaque semaine, les camemberts sont retournés afin de permettre au lait crayeux de se transformer en crémeux. Au stade d’affinage optimal, la croûte affiche des notes rouge-rouille et délivre un parfum d’ammoniaque qui se justifie par la présence d’un pH élevé. Quant aux Tommes et autres Comtés, ils passent le test de la sonde. Ainsi, l’affineur peut apprécier sa texture, ses arômes et son goût. « Je goûte cinq à six fromages par jour mais ça ne se voit pas car si c’est mon garde-manger, c’est aussi ma salle de sport. » Si affiner un fromage est un véritable savoir-faire, c’est aussi une affaire de goût. Frais ou sec, tendre ou moelleux, crémeux ou croquant, doux ou puissant, à chacun désormais de trouver celui qui lui correspond le mieux.
PONT-LÉVÊQUE
Bonbon crémeux
Pourquoi il l’aime En Normandie, on dit de lui que c’est le plus doux des fromages forts. Sa crème à la texture d’un reblochon et sa croûte, la couleur d’un munster
Famille Pâte molle à croûte lavée sèche
Texture Doux, onctueux, crémeux
En bouche Parfum d’étable, herbacé, animal
Affinage 7 semaines
Dégustation : Cidre fruité, vins du Beaujolais.

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NEUFCHÂTEL
Cœur puissant
Pourquoi il l’aime Ne vous fiez pas à sa forme, ce cœur est un condensé de puissance. Plus vieux des fromages normands, il fût pendant longtemps le favori du clergé qui, le prenait comme monnaie d’échange pour payer la dîme
Famille Pâte molle à croûte fleurie
Texture Ferme – Crayeux
En bouche Goût rustique, salé, corsé
Affinage 1 mois et demi
Dégustation Vin rouge corsé, confiture de pomme, pommes de terre chaudes
CAMEMBERT DE NORMANDIE
L’écusson normand
Pourquoi il l’aime C’est lorsque la croûte commence à prendre une petite amertume que le camembert est crémeux jusqu’au cœur. Légèrement salé et iodé, celui-ci se compose de lait cru du Cotentin
Famille Pâte molle à croûte fleurie
Texture Onctueuse et crémeuse
En bouche Beurre noisette – iode
Affinage 6 semaines
Dégustation Cidre brut, vins rouges jeunes, peu charpentés, calvados

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