Si bon nombre d’entre nous ont le souvenir de ce premier verre de cidre savouré autour d’une crêpe, c’est désormais sur les plus grandes tables qu’on le retrouve et ce, grâce à un homme, Eric Bordelet. Afin de percer le mystère de cette production, c’est aux confins de la Mayenne et de l’Orne que nous posons nos valises, le temps d’une rencontre pétillante.
Eric Bordelet et Alexandre Bourdas
Eric Bordelet et Alexandre Bourdas
© Arnaud Dauphin Photographie
Une belle floraison est le signe d’une récolte généreuse.
Une belle floraison est le signe d’une récolte généreuse.
© Arnaud Dauphin Photographie

LE VIN, POINT ZÉRO

Sur les 133 millions de bouteilles produites chaque année en France, les 120 000 bouteilles du cidriculteur Eric Bordelet n’ont pas le temps de moisir en cave et pour cause, il est impossible de l’essayer sans l’adopter. « J’ai goûté et je me suis rendu compte que c’était impossible de faire autrement. Il a réussi à transformer cette boisson populaire en un vrai produit d’exception. C’est le D’Artagnan du cidre », nous confie Alexandre Bourdas du restaurant Sa.Qua.Na**. De l’entretien du verger à la récolte, en passant par la fermentation et la mise en bouteille, les pommes sont chouchoutées au même titre qu’une grappe de Pinot noir destinée à agrémenter les plus grands millésimes de Champagne. Sommelier avant d’être initié à la production cidricole, Eric Bordelet est un nom loin d’être inconnu du microcosme parisien. Ancien sommelier d’Alain Passard, il exerce petit à petit son palais et se forge une place dans le monde du vin, « goûter est la seule manière de construire sa bibliothèque d’arômes et de déceler les bons équilibres afin de réaliser les accords les plus justes. C’est un travail de longue haleine. » Après cinq années passées à l’Arpège -de 1986 à 1991- le normand retourne sur les bancs de l’école au cœur de la cité des vins de Bourgogne à Beaune, puis c’est par l’intermédiaire de son ami Didier Dagueneau, grand nom du vignoble de Pouilly-Fumé (Nièvre) qu’il découvre les secrets d’un savoir-faire ancestral qu’il applique encore aujourd’hui sur ses propres terres.

Eric Bordelet et Alexandre Bourdas
Eric Bordelet et Alexandre Bourdas
© Arnaud Dauphin Photographie

CLIMAT NORMAND SUR SOL BRETON

Alors que le jeune homme a toutes les cartes en main pour se lancer, se sera définitivement la richesse des sols de la demeure familiale qui le conduiront à troquer les grains de raisin pour les fruits du verger. « Lorsque j’étais sommelier, j’ai constaté que tout ce qui poussait autour des châteaux était issu d’un terroir noble. Ici, au Château de Hauteville -laissé en ruine en 1922 suite à un incendie, actuellement en pleine reconstruction- les sols sont composés d’un mélange de schiste et de granit cuit qui concentre les arômes des fruits. » Après plusieurs années d’arboriculture, c’est désormais dans un parc de 19 hectares qu’Eric Bordelet sélectionne ses fruits. Sur ces terres ancestrales, on y trouve toute la richesse de la vallée avec plusieurs poiriers vieux de trois cent ans. S’il devrait probablement doubler le nombre de variétés avec lesquelles il travaille d’ici une vingtaine d’années, pour l’heure, il en utilise une quarantaine pour l’élaboration de son cidre et de son poiré. En revanche, si toutes les variétés donnent du cidre, elles ne sont pas toutes bonnes à planter, « il est primordial de privilégier des variétés locales, c’est-à-dire qui soient capables de s’adapter au sous-sol et au climat de la région. De cette manière, les maladies ne se développent pas et j’évite ainsi l’utilisation de produits chimiques.»

Chez Eric Bordelet «l’affinage en cuve» dure 4 à 5 mois pour avoir une bouteille de cidre brut.
© Arnaud Dauphin Photographie

LE FRUIT DÉFENDU

Tandis que les fleurs viennent à peine d’éclore, il est déjà tant de préparer la prochaine récolte qui se déroulera selon le rythme de la nature, de septembre à décembre. Pas plus grandes qu’un bouchon de bouteille, les pommes et les poires sauvages sont ramassées à même le sol selon un cahier des charges bien précis, « La main de l’homme est une réelle plus-value. Avant de ramasser, on goûte le fruit et on vérifie sa couleur afin de s’assurer du stade de maturation le plus juste. ». S’il n’est pas satisfait, l’artisan n’hésite pas à revenir quelques jours plus tard afin d’obtenir le fruit parfait, « il n’est pas rare qu’on laisse un quart de la production par terre car elle n’est pas mûre contrairement à d’autres producteurs qui déshabillent les arbres sans même regarder l’état de maturité du fruit ». Bien que cette technique demande plus de moyens, c’est elle qui à terme, permet d’éviter le rajout de sucres et d’additifs.

Embouteillage
© Arnaud Dauphin Photographie

SAVOIR-FAIRE ANCESTRAL

Une fois ramassés, les fruits sont triés en trois familles, selon leur caractère aromatique : ceux à la charpente amère, ceux à la chair doucereuse et enfin ceux au jus acidulé. Comme c’est le cas pour un vin, chaque fruit est broyé grossièrement avant d’être macéré puis pressuré pendant une journée. S’en suivra le débourbage -afin d’en extraire la meilleure partie du jus- qui viendra précéder la fermentation alcoolique, effectuée uniquement grâce à l’action de levures 100 % naturelles. Selon les conditions climatiques rencontrées par le millésime, celui-ci restera plus ou moins en cuve avant de rejoindre le circuit final, l’embouteillage. Comptez un mois pour un cidre doux, deux mois supplémentaires pour un cidre demi-sec et enfin deux autres mois pour un cidre brut. Enfin, étudié pendant quinze ans, le procédé d’embouteillage est celui qui vient sceller plusieurs années de recherche et développement de la part de l’artisan. « La mise en bouteille se fait à 0°C, ce qui permet de stopper l’effet des levures, rétracter le gaz carbonique et la fermentation qui a lieu plus tard. »

Eric Bordelet
© Arnaud Dauphin Photographie
Poiré granit

Poiré Granit

Pourquoi il l’aime Issues de poiriers plus que centenaires, les poires qui composent cette cuvée se démarquent par leur minéralité

Robe Jaune-vert, claire, limpide

Nez Poire sauvage, coing, cardamome

Degré 3 % vol

Prix Autour de 16 € la bouteille (millésime 2014)

Dégustation Poissons, fruits de mer, chocolat, noisette

Sydre argelette

Sydre Argelette

Pourquoi il l’aime Cuvée la plus complexe, le « sydre Argelette » est composé de près de quinze variétés de pommes différentes (40 % amères, 40 % douces et 20 % acidulées). L’Argelette est comparable à la charpente d’un vin rouge avec sa longueur tanique

Robe Jaune-orangée, translucide

Nez Epices, vanille, brioche

Degré 4 % vol

Prix Autour de 12 € la bouteille (millésime 2013)

Dégustation Beurre, feuilletages, crème, cannelle, volaille

Calvados AOC 1996

Calvados AOC 1996

Pourquoi il l’aime Mis en fût il y a dix-huit ans, ce calvados est totalement pur, réalisé sans apport d’eau ni de caramel pour abaisser le degré d’alcool. Il est produit à base de « Sydre Argelette » et distillé à deux reprises

Robe Orangée, grenat-mandarine

Nez Orange confite, feuille de tabac fraîche

Degré 50 % vol

Prix En cours d’élaboration

Dégustation Fromages normand, pomme, chocolat, caramel, agrumes, vanille