Au bout d’un chemin qui sillonne entre les vignes se dresse Le Château du Clos de Vougeot, majestueux et solitaire. Il règne sur la Côte de Nuits et constitue le bastion du patrimoine gastronomique et viticole bourguignon, reconnu comme tel dans la région, mais aussi à travers le monde. Classé au titre des monuments historiques, siège des Climats de Bourgogne, il est le chef d'ordre de la Confrérie des Chevaliers du Tastevin. Il n’est pas nécessaire d’avoir de l’imagination pour se figurer les mystères que ces murs, vieux de près de 10 siècles, peuvent renfermer. En ces lieux si particulier et chargés d’histoire, la cheffe Alexandra Bouvret relève les défis des plus grands festins.
Château du Clos Vougeot
Château du Clos Vougeot
© Serge Chapuis

Ce sont les moines de l’abbaye de Cîteaux au XIIe siècle qui ont construit les premiers bâtiments constituant le Château du Clos de Vougeot. Initialement, il s’agissait d’un édifice dédié à l’exploitation viticole puisque ce sont également eux qui ont planté les 50 hectares de vignes, ceinturés de murs, tout autour du château. De leur travail il reste un héritage aussi riche qu’impressionnant. Tout d’abord, le vignoble toujours aussi prolifique cultivé exclusivement en pinot noir, duquel ne naissent que des grands crus. La cuverie et ses 4 pressoirs en chêne sont admirablement conservés mais ne fonctionnent désormais plus qu’une fois par an, à titre de démonstration, durant la célébration du chapitre des vendanges. Il est presque ironique de savoir qu’il n’y a jamais eu de cave voûtée, si emblématique de la région, en ces lieux au sol calcaire bajocien trop dur pour être creusé. Ainsi, les moines conservaient jusqu’à 2000 fûts de vin de 228 litres chacun dans le cellier semi-enterré, devenu aujourd’hui lieu de réception. En effet, le château ne produit plus de vin depuis 1945 mais continue à le célébrer au regard du monde.

« Jamais en vain, toujours en vin »

Ambassadeurs de la gastronomie et du vin de Bourgogne, Les Chevaliers du Tastevin constituent la plus ancienne confrérie de vin de France. Ils sont plus de 12 000 répartis en 75 sous-commanderies sur les 5 continents. En quelque sorte proclamés protecteurs du château et de ce qu’il représente, ils en sont les gestionnaires et bénéficient d’un bail emphytéotique de 99 ans, récemment renouvelé d’ailleurs. Chaque détenteur d’une parcelle de ce vignoble si rare et si particulier, a contribué à développer l’activité du château pour le transformer en lieu de convivialité, ouvert aux chevaliers comme au grand public, dont la spécialité est de recevoir en grande pompe. Dédié à l’œnotourisme ainsi qu’aux mariages et réceptions, il est également le théâtre de rendez-vous culturels annuels devenus incontournables, parmi lesquels le salon Livres en Vignes et le festival Musique & Vin. Sans oublier le championnat du monde de l’œuf en meurette qui n’a rien de saugrenu quand on y pense, au pays du vin la cuisine est reine !

Dans les cuisines du Clos Vougeot
Dans les cuisines du Clos Vougeot
© Christophe Fouquin
La brigade des cuisines du Clos Vougeot
La brigade des cuisines du Clos Vougeot
© Christophe Fouquin

Cheffe d’orchestre

Depuis 2021, Alexandra Bouvret officie discrètement derrière les pianos du château. Réservée aux yeux du grand public, c’est en coulisse qu’elle mène avec détermination et sang-froid le bal incessant des marmites qui semblent mijoter sans discontinuer. Chaque année, elle cuisine pour un nombre vertigineux de convives, 25 à 29 000 couverts ! Après 4 ans à Gilly-lès-Cîteaux, elle travaillera 3 années Chez Guy, du côté de Gevrey-Chambertin avant de rejoindre le Clos de Vougeot en 2009. Jeune mais opiniâtre, elle gravira les échelons patiemment en passant par tous les postes. En 2016, elle sera nommée second aux côtés du chef Olivier Walch, en place depuis 15 ans, jusqu’à prendre sa succession 5 ans plus tard, nommée par le Grand Conseil. Entre temps, il a fallu faire ses preuves : « Ce n’était pas évident de prendre le relais, je devais montrer que j’étais capable de faire autant de volume et de gérer une très grande brigade ». Entre les 24 couverts quasi quotidiens à la Table de Léonce et les 500 à 600 convives lors des réceptions privées et des 16 chapitres annuels de la Confrérie, le Château du Clos de Vougeot est le lieu de tous les paradoxes.

« Ce n’était pas évident de prendre le relais, je devais montrer que j’étais capable de faire autant de volume et de gérer une très grande brigade ».
Alexandra Bouvret
Le Château du Clos de Vougeot sert entre 25 000 et  29 000 couverts chaque année, avec des réceptions pouvant accueillir jusqu'à 900 personnes.
Le Château du Clos de Vougeot sert entre 25 000 et 29 000 couverts chaque année, avec des réceptions pouvant accueillir jusqu'à 900 personnes.
© Christophe Fouquin

En petit comité

La Table de Léonce permet au plus grand nombre de visiter le château et de profiter d’une dégustation-déjeuner typique du terroir bourguignon. Au programme systématiquement : un menu inspiré de la région et une dégustation de vins tastevinés. Labélisée Savoir-Faire 100 % Côte-d’Or, la table d’hôte fait la part belle aux meilleurs produits du coin. Dijonnaise de naissance, Alexandra Bouvret aime à valoriser son réseau de producteurs locaux qu’elle est capable d’énumérer par cœur. Passionnée et curieuse, la cheffe se déplace pour rencontrer ses partenaires et va se fournir sur place : « J’aime apprendre à les connaitre, découvrir leurs savoir-faire. Récemment, je suis allée pêcher mon brochet moi-même chez mon producteur ». Truite du pays nuiton, volaille du CAT de Bézouotte, légumes de la ferme Dubois à Varois-et-Chaignot, écrevisses de la pisciculture de Drambon , Miel Rucher Saint Valère… La cheffe met sa partition en musique tandis que le sommelier choisit ses vins à l’annonce du menu. Il n’est pas rare de retrouver ses plats signatures comme le soufflé de truite et l’œuf en meurette, devenu sa spécialité absolue. L’œuf de la ferme du Pontot est accompagné d’une sauce fondante qui mêle un vin tasteviné, des pieds de porc et de la cuisse de canard. En une bouchée, c’est toute la Bourgogne qu’on déguste.

« J’aime apprendre à les [producteurs] connaitre, découvrir leurs savoir-faire. Récemment, je suis allée pêcher mon brochet moi-même chez mon producteur ».
Alexandra Bouvret
Alexandra Bouvret, chef du Château du Clos Vougeot
Alexandra Bouvret, chef du Château du Clos Vougeot
© Christophe Fouquin
Pâté en croûte
Pâté en croûte
© Christophe Fouquin

Ballet gourmand

Alexandra Bouvret est une cheffe de cuisine particulière pour qui les petites quantités sont anecdotiques :

« Cuisiner pour 24 convives se rapproche d’un jeu de dinette en comparaison aux tablées dressées chaque weekend »,

explique-t-elle en souriant. En effet, la cheffe est aussi une gestionnaire et une manager d’équipes. Lors des plus grands banquets organisés au Château du Clos de Vougeot, il n’y a pas moins de 15 personnes en cuisine, 36 serveurs, 16 sommeliers et 9 plongeuses ainsi que 15 chanteurs et 8 sonneurs en ce qui concerne l’animation. Chaque préparation est pensée en portions, disposées avec soin sur des plateaux en argent et la suite est millimétrée. Le service se fait à l’anglaise avec un dressage en direct, dans l’assiette. Un cérémonial très codifié et organisé si bien que la machine bien huilée ne s’enraye jamais. Du côté des vins, les sommeliers ont toute liberté pour mettre en valeur les vins de Bourgogne, tastevinés ou pas, choisis en accord avec les mets du jour. À la table du château, il y a toujours 7 verres pour chaque convive car, comme le veut la tradition, on voyage du vin blanc progressivement jusqu’au rouge, en terminant par le marc et la prunelle de Bourgogne. Les plus beaux crus possibles franchissent régulièrement les portes du château, notamment le Vougeot 1er cru cultivé en ses terres.

Les œufs en meurette vigneronne
Les œufs en meurette vigneronne
© Christophe Fouquin
Médaillon de volaille de la ferme de Bezouotte
Médaillon de volaille de la ferme de Bezouotte
© Christophe Fouquin

La plaisir de l’adrénaline

Lieu des cérémonies les plus fastueuses, le château reçoit des évènements de très grande envergure. Mariages, séminaires, cocktails, anniversaires, baptêmes et chapitres de la Confrérie des Chevaliers du Tastevin, la cheffe Alexandra Bouvret élabore des menus gastronomiques uniques à une vitesse déconcertante. « Chaque réception est un challenge. Je n’ai pas le temps de réfléchir trop longtemps ni de faire des essais. Je peux élaborer un menu et le servir à 500 convives sans l’avoir testé avant », explique-t-elle. Un rythme effréné qui agit sur elle comme un moteur. Elle trouve l’inspiration au jour le jour, en fonction des produits de saison et de ses rencontres. Le point d’orgue de sa créativité a lieu au moment des chapitres lors desquels elle a carte blanche et aime à surprendre les chevaliers. C’est ainsi qu’elle concocte avec poésie un médaillon de homard pattes bleues accompagné de caviar de citron et d’un bouquet de fruits d’automne ou une ballotine de perdrix rouge et raisins macérés à la prunelle de Bourgogne. Au château, les réceptions n’ont pas de limites : « J’ai la chance de pouvoir travailler des produits nobles régulièrement comme les cœurs de ris de veau, les langoustes, les oursins… » Dans ce cas, la cheffe doit s’assurer de pouvoir commander ses matières premières en très grandes quantités :

« Ce n’est pas commun de demander 200 kilos de turbo ou de filet de Saint-Pierre avec seulement 10 à 15 jours de délai. ».

En cuisine, il suffit d’apercevoir les très grandes marmites en cuivre sur le feu pour comprendre à quel point la cheffe doit voir grand : « J’utilise au moins 120 litres de vin rouge de Bourgogne tasteviné par semaine, en grande partie pour les œufs en meurette qui sont la signature de la maison… et la mienne ! » Une cuisine qui se veut authentique et traditionnelle mais pas trop car Alexandra Bouvret ne se prive pas de remanier les grands classiques en jouant sur la présentation et les textures. L’été par exemple, elle propose un œuf meurette froid comme un aspic, en gelée de pinot noir. Ce n’est pas pour rien que le championnat du monde de l’œuf en meurette a lieu ici sous le regard attentif de la cheffe, membre du jury. Pour cause, ses œufs en meurette font recette ! En 2021, ils ont été servis à Emmanuel Macron et son invitée Angela Merkel au cours d’un diner intime au sein même du château : « Le président m’a glissé un mot pour me dire qu’ils étaient délicieux », dit-elle malicieusement. Nul besoin d’être chef d’État pour faire bonne chère dans ce temple bourguignon de la gastronomie et du vin. Les portes sont ouvertes à ceux qui, dans l’esprit rabelaisien, ont bon appétit et large soif !

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