Le guide Michelin est une référence en France mais aussi à l’international pour les professionnels de la gastronomie. Comment est-il préparé et comment ses inspecteurs travaillent-t-ils au quotidien ? Michael Ellis, directeur international des guides Michelin, répond à nos questions.

Quels inspecteurs ont travaillé sur le guide 2018 ?

Chaque année, nous faisons travailler l’équipe France mais nous faisons également venir des inspecteurs d’autres pays, de Chine, des États-Unis ou encore d’Italie. La majorité de ce que nous appelons les essais de table sont faits avec les équipes locales mais c’est très important pour nous de faire venir des inspecteurs étrangers pour s’assurer que les étoilés de chaque pays soient au même niveau. L’étoile Michelin est un symbole de qualité et pas d’un type de cuisine en particulier. Pour les inspecteurs, c’est toujours très enrichissant de visiter d’autres pays et découvrir d’autres cultures gastronomiques.

Quelles sont les qualités d’un inspecteur Michelin ?

Chez un inspecteur, il y a une part d’aventurier, une part de détective et une part d’athlète de haut niveau, parce qu’il faut avoir un système digestif hautement entraîné ! D’abord, les inspecteurs sont tous des salariés Michelin à plein temps et ce sont des experts en gastronomie. La majorité d’entre eux a fait une école d’hôtellerie ou de cuisine. Ils sont ensuite testés pour déterminer s’ils ont la capacité physiologique de goûter : on regarde le nombre de papilles qu’ils ont sur la langue et où elles se trouvent. Ils doivent bien sûr avoir la capacité de traduire ce qu’ils ressentent sur leur palais à l’écrit, et ils sont tous anonymes, ce qui permet à nos sélections de refléter des expériences que n’importe quel autre client pourrait vivre.

DÉMASQUÉ
C’est extrêmement rare qu’un inspecteur soit repéré sur place, mais lorsque c’est le cas, les leviers en cuisine sont de toute façon limités. « La brigade peut éventuellement éviter les accidents mais un chef une étoile ne peut pas faire une cuisine deux étoiles parce que l’inspecteur est là », assure Michael Ellis.

Quelles sont les méthodes de travail de ces inspecteurs ?

Chaque année, un inspecteur se voit confier un secteur constitué de plusieurs départements, et il n’y retourne pas avant 7 à 10 ans. Il se renseigne en amont, à travers les médias, sur les établissements existants puis, une fois sur place, il a plusieurs objectifs : d’abord il doit contrôler les restaurants étoilés existants pour s’assurer qu’il n’y a pas d’évolutions. Ensuite, il doit repérer les nouveautés et c’est là que commence le travail de détective. Comme il est anonyme, l’inspecteur peut par exemple demander à la réception de son hôtel ou dans les commerces du coin si on peut lui recommander une table pour déjeuner. Cette récolte d’informations sur le terrain peut permettre de dénicher un petit restaurant au fin fond du Cantal, qui n’a pas de site internet et qui n’est connu que par les locaux. C’est l’un de nos grands talents que de découvrir de petits bijoux cachés. Parfois, dans certains départements, l’inspecteur se présente à un ou deux restaurants à la fin de sa tournée. Cela montre à la profession que nous sommes présents.

SÛR ET CERTAIN
Quand les inspecteurs ont des avis très divergents sur un restaurant, il peut arriver que le guide y fasse jusqu’à six à sept visites. « Ce sont des cas particuliers plutôt rares, des 2 ou 3 étoiles en général, où il y a quelque chose qui se passe et pour lesquels nous voulons être absolument sûrs de nos conclusions », précise Michael Ellis.

Quels sont les critères pour être étoilé ?

Les critères sont les mêmes depuis près d’un siècle maintenant. Pour un restaurant étoilé, les inspecteurs recherchent dans un premier temps la qualité des produits, car toute bonne cuisine commence avec de bons ingrédients. Ensuite, l’inspecteur s’intéresse à la maitrise des cuissons, qui est un élément clé. Un morceau de poisson peut, par exemple, avoir une fenêtre de trente secondes pendant laquelle il est parfaitement cuit, avant ce n’est pas assez cuit et après c’est trop cuit. Après, nous cherchons l’harmonie dans les saveurs, l’équilibre dans les assaisonnements. Il ne faut pas que les sauces soient trop salées, trop fades, qu’il y ait trop d’estragon dans la béarnaise. Il faut également que les inspecteurs puissent percevoir la personnalité du chef qui doit s’exprimer dans son assiette et qu’il y ait une régularité dans la qualité, à la fois dans le temps mais aussi dans la variété des entrées, plats et desserts de la carte. Enfin, nous sommes attentifs au rapport qualité prix et nous nous demandons si l’établissement est capable d’assumer une étoile (supplémentaire), car cela peut être déstabilisant.

Et pour obtenir les 3 étoiles ?

Ce sont les mêmes critères mais le repas doit être une expérience mémorable. Il doit procurer de l’émotion. On doit quitter la table avec le sentiment d’avoir vécu un moment unique. Les 3 étoiles, c’est le summum de l’art gastronomique.

Arrive-t-il que des inspecteurs aient des avis divergents sur un établissement ?

Bien sûr, d’où l’importance de ce que nous appelons les « séances étoiles » que nous organisons plusieurs fois dans l’année, avant une séance étoile finale. Nous nous réunissons tous quelque part avec les inspecteurs pendant trois ou quatre jours et nous étudions chaque dossier. Lorsqu’un inspecteur a eu une expérience 1 étoile, 2 étoiles, 3 étoiles et qu’un autre n’a pas le même point de vue, nous regardons ce qu’ils ont mangé et à quelle période de l’année. S’il y a divergence, nous pouvons décider d’envoyer un troisième ou un quatrième inspecteur pour confirmer et trancher. Nous avons des cas chaque année.

Sébastien Bras, chef du restaurant trois étoiles Le Suquet à Laguiole (Aveyron), a demandé à ne plus figurer dans le guide Michelin. Comment le guide a-t-il réagi à cette annonce ?

Le cas Bras est un cas unique pour plusieurs raisons. C’est une maison qui existe depuis très longtemps, son père a eu trois étoiles en 1999 et Sébastien Bras a hérité de la maison il y a 10 ans. Le père avait une certaine vision et Sébastien n’a pas forcément la même vision et les mêmes envies. C’est vraiment la première fois que nous avons une demande d’un chef qui veut sortir du guide et nous étudions ce type de demande au cas par cas. Dans ce cas particulier, nous avons décidé de respecter l’envie du chef. Ce n’est pas une décision facile car nous ne faisons pas le guide pour les chefs, mais d’un autre côté nous ne sommes pas à l’aise avec l’idée d’envoyer des clients dans une maison qui ne veut pas être dans le guide.

À l’heure où les classements et palmarès de restaurants se multiplient, comment rester un guide de référence ?

Cela fait près d’un siècle que nos lecteurs comptent sur le guide Michelin pour les orienter vers les bons établissements et nous avons une responsabilité envers notre audience. Nous nous engageons donc à faire notre travail de la façon la plus professionnelle possible, d’identifier, déceler, tester et récompenser les établissements qui correspondent le mieux aux critères du guide Michelin. A ma connaissance, nous sommes les seuls à avoir des inspecteurs salariés à plein temps, experts en gastronomie, qui sont anonymes et qui paient leur addition. Le travail d’un inspecteur du guide Michelin est unique au monde, c’est l’ADN du guide. Nous devons notre reconnaissance à notre méthodologie, à notre patrimoine et à notre histoire.

Le guide Michelin Bangkok sorti en 2017 a récompensé d’une étoile une cuisine de street food. Cela pourrait-il arriver en France ?

La réponse est oui à partir du moment où la France développe une culture de street food qui corresponde aux critères du guide. Aujourd’hui la France n’est pas un pays de street food, c’est quelque chose qui est plus dans la culture asiatique ou nord-américaine, d’après mon expérience. Mais nous sommes ouverts et nous n’avons pas de tabou. Si la France développait ce type de cuisine, nous serions plus que ravis de donner une étoile à un street food français.

INTERNATIONAL
Les différentes éditions du guide Michelin répertorient plus de 20 000 restaurants dans le monde. Parmi eux, il y a une centaine d’établissements trois étoiles.

Quelles sont les perspectives de développement du guide Michelin ?

Nous sommes dans notre 118ème année et nous sommes présents dans 28 pays dans le monde entier. Nous allons continuer à développer notre activité tout en restant fidèles à nos principes et à notre méthodologie. En 2018, nous sortons par exemple les guides Taipei (Taïwan) et Guangzhou (Chine). Je pense que notre savoir-faire et notre expertise sont surtout développés dans la gastronomie et nous allons rester fidèles à cette stratégie.