La Moutarderie Fallot est une institution qui s’érige en véritable symbole de la gastronomie locale, mais aussi en vecteur de transmission d’un pan incontournable de l’histoire du terroir. Unique fabrique indépendante de Bourgogne et la plus ancienne de France, elle est devenue une référence indétrônable qui résiste aux géants des condiments et qui porte haut des valeurs aussi traditionnelles que patrimoniales.

Que serait la cuisine sans la moutarde ? Son piquant vient éveiller les papilles, surprend les plus petits qui en sont à leur première expérience de dégustation, relève les viandes et accompagne également toutes sortes de plats. Elle s’apprécie seule, en assaisonnement ou en agrément et inspire les cordons-bleus autant que les grands chefs. C’est une histoire d’amour à la française avec une saveur d’enfance, qui s’est exportée dans le monde entier depuis, que chaque bourguignon porte en lui. À Beaune, le savoir-faire des maîtres moutardiers perdure grâce au travail acharné d’un passionné dont la mémoire des générations passées est infaillible.

Musée Fallot
Musée Fallot
© Kévin Druard
Marc Désarménien, dirigeant de la moutarderie et petit fils d'Edmond Fallot
Marc Désarménien, dirigeant de la moutarderie et petit fils d'Edmond Fallot
© Kévin Druard

Fierté locale

Selon la légende, la moutarde se serait fait connaitre en Bourgogne grâce à Philippe le Hardi, duc de Bourgogne qui aurait financé la création d’une armée de 1000 Dijonnais en créant un impôt spécial à destination des producteurs de sénevé, la fameuse graine de moutarde. Au moment du retour victorieux de son armée, il aurait arboré un étendard sur lequel était brodé « Moult me tarde ». Le vent pliant le tissu, les Dijonnais auraient simplement lu « Moult tarde », inscription qui sera dès lors apposée sur les pots de moutarde, accompagnée des armes de la Bourgogne. Ce que l’on sait de façon plus certaine est que les ducs de Bourgogne consommaient le condiment lors de leurs banquets, notamment pour rendre les viandes grasses plus digestes. Ils ont développé localement la production pour faire de la moutarde un atout gastronomique et un symbole de richesse et de raffinement. Au fil du temps, le remplacement du vinaigre par du verjus, soit du jus de raisin vert, dans la fabrication du condiment permet aux terres de vignes de profiter d’un avantage notable, surtout en Bourgogne où il est considéré comme exceptionnel. Du côté de la Moutarderie Fallot, l’histoire commence en 1840 à l’initiative de Léon Bouley, en lieu et place de la fabrique actuelle. À l’origine, la maison est une huilerie et une fabrique de moutarde dont la qualité est reconnue jusqu’à Paris. L’entreprise passera entre plusieurs mains avant d’être rachetée en 1928 par Edmond Fallot, dont le nom perdure aujourd’hui. Roger Désarménien, son gendre, prendra le relai en 1945 pour laisser lui-même les commandes à son fils, Marc, en 1994. Digne repreneur de l’affaire, ce dernier incarne une nouvelle génération qui associe modernité, savoir-faire et techniques artisanales de production.

Parcours musée Fallot
Parcours musée Fallot
© Kévin Druard
Parcours Découvertes du musée Fallot
Parcours Découvertes du musée Fallot
© Kévin Druard
Parcours Découvertes du musée Fallot
Parcours Découvertes du musée Fallot
© Kévin Druard

Moutardier 2.0

Lors de son arrivée au cours des années 90, Marc Désarménien constate que l’outil de production est vieillissant et que l’entreprise a besoin d’une nouvelle impulsion pour entrer définitivement dans la modernité et faire face aux grands groupes industriels : « Il fallait, entre autres, informatiser l’entreprise, rénover les bâtiments, et avoir une stratégie plus large en s’affirmant sur le marché français et en développant l’export », explique-t-il. Pour celui qui a grandi dans la maison qui jouxte la fabrique, il n’était pas question de déménager ni de dévaloriser l’entreprise en privilégiant le volume à la qualité et en contredisant le travail des générations précédentes :

« La force de notre moutarderie est d’avoir conservé une fabrication selon un savoir-faire artisanal et une recette originale. Nous avons pu le faire grâce à des choix forts, notamment celui de mon père de résister aux sirènes de la grande distribution lors de son émergence dans les années 60-70. À l’époque, l’artisanat n’y était pas mis en avant et la composition des produits n’apparaissait même pas sur les étiquettes. ».

Se maintenir et innover ne veut pas forcément dire produire en masse, mais plutôt construire avec rigueur et exigence une évolution cohérente qui préserve l’excellence du produit original. C’est ainsi que patiemment, Marc Désarménien a fait évoluer l’entreprise et s’est démarqué. Si au début du XIXe siècle, Beaune comptait une trentaine de maîtres moutardiers et Dijon une centaine, il ne reste plus que 4 fabricants à l’heure actuelle dans la région, dont 3 sont des industriels.

Parcours Sensations Fortes du musée Fallot
Parcours Sensations Fortes du musée Fallot
© Kévin Druard
Parcours Sensations Fortes du musée Fallot
Parcours Sensations Fortes du musée Fallot
© Kévin Druard

L’artisanat en héritage

Pour conserver toute son identité, la Moutarderie Fallot n’a pas dérogé aux règles ancestrales. Ainsi, si l’outil de production a été considérablement modernisé, le broyage continue de se faire à la meule de pierre. Le plus difficile a surement été de se réapprovisionner en graines de moutarde bourguignonnes. Jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale, la graine est plantée dans les clairières à charbon de bois puisque la potasse présente dans les cendres constitue un engrais idéal pour cette plante crucifère. Les charbonniers fournissent alors les moutardiers de la région. Au moment de l’industrialisation, ils disparaissent et la culture de la moutarde est progressivement abandonnée dans la France entière, forçant les producteurs de pâte de moutarde à se fournir à l’étranger, notamment au Canada. Grâce à plusieurs volontés dont celle de l’Association Moutarde de Bourgogne dont fait partie l’entreprise Fallot, la culture de la graine de moutarde a pu être relancée dans la région pour représenter aujourd’hui plus de 12 000 hectares plantés et près de 600 agriculteurs. Ce qui permet à la Moutarderie Fallot de se fournir exclusivement en graines régionales et de bénéficier d’une Indication d’Origine Protégée (IGP) pour une partie de ses pâtes de moutarde. La fabrique est aussi labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV) depuis 2015.

Parcours Sensations Fortes du musée Fallot
Parcours Sensations Fortes du musée Fallot
© Kévin Druard

S’ouvrir au monde : 20 ans de parcours muséographique

La transmission au grand public et la transparence avec le consommateur sont des moteurs pour Marc Désarménien : « J’ai toujours eu la volonté de montrer notre savoir-faire artisanal aux visiteurs. Quoi de mieux pour y parvenir que d’ouvrir nos portes au plus grand nombre ? ». C’est ainsi que la moutarderie a été pionnière dans la création d’un espace muséographique dédié à un produit agroalimentaire. Le parcours Découvertes qui fêtera ses 20 ans tout au long de l’année 2024 a demandé un investissement de 800 000 € : « Mon grand-père et mon père étaient très conservateurs et avaient gardé beaucoup de matériels anciens. L’essentiel du travail a porté sur l’inventaire de notre patrimoine (en collaboration avec l’Université de Bourgogne), sur la restauration mais aussi sur la façon dont pouvait être scénographié ces matériels ».
Lors de l’ouverture en 2003, il n’y avait que quelques centaines de visiteurs tandis que l’année dernière il y en a eu plus de 50 000. Très rapidement, le succès de l’initiative a inspiré la création d’un second parcours en 2009 : Le « Sensations Fortes », qui présente notre outil de production actuel. De façon ludique, le visiteur devient une graine de moutarde et expérimente chaque étape de sa transformation : triage, nettoyage, trempage, broyage jusqu’au conditionnement. Un parcours qui s’intègre parfaitement à la fabrique puisqu’il a été construit en même temps que l’extension de l’unité de production. La démarche de rapprochement avec le consommateur ne s’arrête pas là. Profitant d’un emplacement exceptionnel en plein centre-ville de Beaune, à quelques dizaines de mètres seulement de l’Hôtel-Dieu, Marc Désarménien a continué à doper l’activité touristique en ouvrant la boutique Enjoy Fallot en 2012 à l’entrée du site beaunois. À l’intérieur, on retrouve les différentes recettes de la marque mais on peut également s’offrir une dégustation au bar à moutardes ou tout simplement acheter en vrac en remplissant son pot en grès estampillé Fallot. Un concept qui réhabilite une ancienne tradition puisqu’aux origines de la fabrique, les consommateurs pouvaient acheter directement leurs pots à la fabrique. Encore une fois, le succès est au rendez-vous et conduit à l’ouverture d’une boutique-atelier à Dijon dans la rue la plus emblématique de la Cité des Ducs : rue de la Chouette. À l’intérieur, on retrouve les mêmes services, en plus de la démonstration de fabrication qui donne lieu à la production et à la vente de pots de moutarde fabriqués dans la ville de Dijon ! À noter que la moutarde Fallot est aussi la plus représentée à la Cité de la Gastronomie. Le moins que l’on puisse dire est que la Moutarderie Fallot a été avant-gardiste sur plusieurs sujets comme la production locale, la distribution en circuit court mais aussi la pérennisation des savoir-faire artisanaux.

200000 visites des parcours muséographiques et des boutiques Enjoy Fallot en 2023
Parcours Sensations Fortes du musée Fallot
Parcours Sensations Fortes du musée Fallot
© Kévin Druard

À la table des gastronomes

Membre du Collège Culinaire de France depuis 2015, la Moutarderie Fallot s’est imposée comme l’alliée indétrônable des plus grands chefs cuisiniers mais aussi des cordons-bleus du quotidien. Les moutardes Fallot sont désormais distribuées en épiceries fines en France et dans le monde mais aussi dans quelques points de vente plus généralistes soigneusement sélectionnés en fonction de leur mise en valeur des produits de terroir. Ainsi, on les retrouve dans toutes les cuisines, qu’elles soient familiales ou professionnelles, en plusieurs conditionnements dont le fameux 25 grammes que Fallot a été le premier à faire. Les recettes exclusives sont réservées aux boutiques Enjoy Fallot, une chance pour les bourguignons ! On y retrouve l’intégralité de la gamme soit une trentaine de recettes différentes et originales comme la moutarde au yuzu, au curry de madras, aux fèves de cacao ou encore au romarin et sirop d’érable… Pour choisir les saveurs à marier, Marc Désarménien fait des essais sans préjuger des associations, inspiré par ses rencontres notamment avec les chefs :

« Il arrive que certains grands noms de la gastronomie élaborent leurs propres recettes comme la célèbre Maison Loiseau qui signe en collaboration avec nous une moutarde très tendance aux algues dulse et baies timut ou encore aux cèpes et thé noir. ».

Cette entente avec les chefs ne date pas d’hier, en témoigne le plus ancien client restaurateur qui n’est autre que la maison Troisgros. Nul doute que la Moutarderie Fallot a de beaux jours devant elle avec un nouveau projet d’investissement à destination du grand public pour l’instant gardé secret…

Fallot en 2023 c'est : 6 millions de pots soit 2500 tonnes de moutarde produite et exportées dans plus de 70 pays