Patrick Bertron Bernard Loiseau

Arts & Gastronomie : Racontez-nous vos débuts chez Loiseau…

Patrick Bertron : C’était le 15 mars 1982. Un samedi. Je m’en souviens très bien. Je venais de ma Bretagne natale, j’avais 20 ans et avais postulé dans quelques grandes maisons. Seul Loiseau m’avait répondu. J’avoue que lorsque je suis arrivé à Saulieu, j’étais pour le moins dépaysé. En plus il faisait froid… Je remplaçais Bernard Leray qui partait faire son service militaire ; moi j’en sortais. Je me souviens du sentiment étrange de savoir que j’allais travailler avec un chef reconnu comme Bernard Loiseau. À l’époque, il n’y avait pas Internet : avoir sa photo en tant que chef dans un magazine ou un journal était pour moi extraordinaire. Je voyais Bernard Loiseau comme un monument. Je pensais rester dans cette maison – qui s’appelait à l’époque La Côte d’Or – un ou deux ans… et puis finalement j’y suis toujours !

Justement, comment s’est passée la première rencontre ?

Très simplement. Le samedi, je ne l’ai pas croisé, mais le dimanche vers 11h pour le déjeuner avec ses employés, il était là. Je l’ai salué, mais rien de plus ce jour-là. À mes débuts je dormais comme tout le personnel sur place donc nous prenions nos repas ensemble… Le lundi, j’ai commencé à travailler à ses côtés et j’ai appris peu à peu à le connaître. Au départ, j’avais un poste dans une pièce un peu décalée des cuisines principales où je faisais les entrées, donc je voyais simplement son visage à travers le passe-plat. Puis j’ai gravi les échelons. Ces années-là ont été riches pour tous ceux de ma génération. De cette période, nombreux sont les fidèles qui sont restés jusqu’à son décès. Il y avait une ambition, une âme toute particulière à Saulieu. Bernard Loiseau était mon chef, mon patron, un homme très charismatique qui vous emmène dans son tourbillon … J’ai passé 21 très belles années avec lui jusqu’à devenir son bras droit.

Avez-vous hésité à prendre sa succession après son décès ?

Pas un seul instant. Le Relais Bernard Loiseau était dans mes gênes. Aujourd’hui je suis mon propre tempo, je donne ma sensibilité culinaire d’autant que j’ai la totale confiance de Dominique Loiseau.

Donnez-nous quelques belles images qui ont marqué ses 35 années ?

Je dirais en 1991, lorsque Bernard m’appelle pour me dire qu’on a décroché la troisième étoile au Guide Michelin ; la rencontre avec ma femme originaire de Saulieu ; et toutes ces fois où j’ose enfin aller dans la salle à la fin du repas discuter avec le clients. J’ai toujours une certaine appréhension… mais une fois la première table passée, tout va mieux ! Quand je vois leurs yeux pétiller, ça me fait très plaisir !

Interview réalisée par Déborah Levy