Auteur étoilé au Grand Restaurant, porteur de bonheur chez Clover et Clover Grill, Jean-François Piège est désormais conteur d’histoire. En compagnie de sa femme Elodie, le juré de Top Chef écrit le nouveau chapitre de la Poule au Pot, une boucherie parisienne transformée en restaurant en 1935, dont ils sont devenus les troisièmes propriétaires. Épilogue.
"Nous nous sommes glissés dans l’histoire des lieux." Jean-François Piège 
© Photos Franck Juery
La poule au pot
La poule au pot
© Photos Franck Juery

Comment a démarré cette nouvelle aventure culinaire ?

J’ai croisé l’ancien propriétaire qui m’a confié que le restaurant était à vendre. J’ai réfléchi à la proposition. On ne fait pas un restaurant pour faire un restaurant. On se lance parce qu’on a envie de dire quelque chose en accord avec le lieu. L’opportunité a créé le projet. S’il avait été question d’un restaurant de poisson, je pense que je n’y serais pas allé.

83 ans de service, la Poule au Pot est l’un des plus anciens bistrots de Paris. Son curriculum vitae historique vous a fait craquer ?

Quand une maison bénéficie d’un tel passé, vous devez vous accorder un moment de réflexion. La Poule au Pot présentait un contexte et une ambiance qui se prêtaient à une cuisine que je ne réalisais pas dans mes autres adresses. Elle est identitaire à cet endroit. Commanderiez-vous une soupe à l’oignon ailleurs qu’ici ? La recette a été créée à l’époque des Halles de Paris. Cela a un sens de la proposer dans un restaurant de ce calibre. Aurais-je pu servir une blanquette de veau chez Clover Grill ? Cela n’aurait aucun sens. Le podium est ouvert pour proposer ce type de plat. J’ai vibré à l’idée de cuisiner dans une adresse que je n’ai pas créée et de me glisser dans l’histoire d’un restaurant qui n’était pas le mien. Je suis passionné par les plus beaux produits français et par l’Histoire culinaire tricolore. Personne n’a été étonné de mon nouveau projet. Quel chef a osé reprendre des bistrots historiques à Paris, à part Alain Ducasse avec les bistrots Benoît et Allard ?

Ce rachat, c’est un pari plus difficile que l’ouverture de votre Grand Restaurant ?

A la Poule au Pot, le défi à relever est de taille. Il est plus aisé de servir ses créations personnelles que d’avancer sa propre vision de recettes que tout le monde connaît.

C’est une cuisine authentique. Comment définiriez-vous ce registre culinaire ?

Nous réalisons une cuisine d’inspiration bourgeoise. Dans « bourgeois », il faut entendre une cuisine ménagère. Elle est servie de façon généreuse. Au départ, je vous avoue que ma brigade a regardé les plats que nous testions avec de grands yeux. Côté service, j’adore chiner et j’ai trouvé d’anciens plats en argent que nous utilisons pour être généreux dans les proportions avec les clients. On a aussi déniché une vieille voiture de tranche Lapérouse (qui permet d’effectuer la découpe des grosses pièces devant le client, NDLR).

« J’ai vibré à l’idée de cuisiner dans un endroit que je n’ai pas créé »
Jean-François Piège
La poule au pot
La poule au pot
© Photo Hervé Goluza

Œuf mimosa, gratinée à l’oignon, blanquette de veau à l’ancienne, hachis parmentier… Comment avez-vous travaillé la carte ?

En rachetant ce restaurant, je ne me suis aucunement dit « je vais faire mieux ». Cela ne m’intéressait pas de me demander s’il manquait quelque chose. La démarche a consisté à s’interroger : quel saucisson sert-on ? quel pain choisir ? avec quels couverts dressons-nous la table ? Nous nous sommes glissés dans l’histoire des lieux. Quand le rachat a été enclenché il y a 18 mois, j’ai constitué une liste de 300 plats, qui auraient pu et qui ont pu être servis ici. Je me suis demandé s’ils avaient leur place dans un lieu comme celui-ci aujourd’hui. Prenons les cuisses de grenouilles. Cuire des cuisses de grenouilles dans du beurre et ajouter de la persillade, la recette n’a rien de trépidant. A l’inverse, travailler aux côtés du seul producteur de cuisses de grenouilles en France pour les proposer aux clients, voilà une proposition motivante. Ce n’est pas moi qui ai créé la blanquette de veau. En revanche, j’avais une vision précise de la recette. Je me la suis appropriée en choisissant un veau originaire du Pays basque et une crème de vache pie noire pour réaliser la sauce. Je n’ai pas inventé le céleri rémoulade. Toutefois, on a décidé de ne pas le préparer avec de la mayonnaise, mais de monter une vraie sauce rémoulade. Nous avons travaillé durant une année sur la nouvelle version de la carte. Lorsque nous avons ouvert, elle ne présentait pas la poule au pot. Etrange me dira-t-on pour un restaurant qui porte ce nom. Nous étions en été et j’ai estimé que ce n’était pas nécessaire de la servir à ce moment-là. On la propose depuis fin septembre désormais.

Comment la carte évolue-t-elle ?

Au fil des saisons, mais aussi de la place. Il faut faire des choix. On ne peut pas tout proposer.

Quel est votre plat chouchou au sein de cette carte ?

J’aime tous les plats qui sont liés à l’identité de cet endroit et ceux qui rendent les clients heureux.

De son passé de boucherie, le sol en pente subsiste encore. Vous avez conservé le restaurant « dans son jus ». Qu’avez-vous gardé d’autre ?

La totalité des éléments de décoration qui structuraient déjà les lieux par le passé : les lampes à pampilles art nouveau, mais aussi les colonnes de mosaïque dorées ou les photographies qui rappellent que le restaurant était le repaire des marchands à l’époque où les Halles de Paris animaient le quartier.

Gérard Jugnot, Daft Punk, Charlotte Gainsbourg… 363 plaques métalliques accrochées à la boiserie indiquent les noms des personnalités venues dîner. Est-ce un héritage que vous rêvez de pérenniser ?

Bien sûr, mais je n’aime pas dire qui est venu. Je peux simplement vous confier que nous avons ajouté de nouvelles plaques. Les personnes concernées ont partagé leur expérience sur leur compte Instagram quand elles le souhaitaient.

363 plaques métalliques accrochées à la boiserie indiquent les noms des personnalités venues dîner à La Poule au Pot.
© Photos Franck Juery

A la Poule au Pot, vous cuisinez pour un nouveau profil de gastronomes. Votre clientèle est-elle différente d’un restaurant à l’autre ?

Elle est à la fois différente et à la fois commune. Les clients qui se sentent bien chez nous essayent nos autres adresses. Certains du restaurant gastronomique viennent ici parce qu’ils savent que je l’ai racheté. D’autres réservent une table à la Poule au Pot pour la notoriété du lieu.

Avec cette quatrième adresse, vous leur promettez une expérience conviviale…

La convivialité, c’est la base de la restauration, que ce soit un bistrot, une table gastronomique ou un grill. La convivialité, c’est le contrat que nous proposons aux clients. On pousse plus facilement la porte d’un restaurant comme celui-ci que celle d’une table gastronomique, c’est évident. Mais, le bistrot et la cuisine bourgeoise sont d’autres expressions culinaires. Dans mes quatre restaurants, l’expérience est à chaque fois différente. Ici, nous servons de la baguette parce qu’elle symbolise la France. Au Grand Restaurant, on propose un autre type de pain. Toutes les maisons sont différentes. Pas une seule ne se ressemble.

S’il fallait imaginer un fil rouge entre vos quatre adresses, depuis la table gastronomique jusqu’à la Poule au Pot… Quel lien pourrions-nous trouver ?

L’envie de régaler et de faire plaisir aux clients qui poussent la porte de chacun de mes restaurants.

Votre prochain projet, vous y pensez déjà ?

L’objectif n’est pas d’ouvrir chaque année un nouveau restaurant. On se concentre sur toutes les choses à caler à la Poule au Pot mais aussi à bien faire dans les autres restaurants. Et c’est déjà beaucoup.

La poule au pot
© Photo Franck Juery