Depuis juillet dernier, la rue Saint-Dominique est devenue le repaire d’un nouveau venu dans la gastro-sphère parisienne. A quarante ans, Sylvestre Wahid quitte le sud et sa garrigue pour venir bousculer les casseroles et les papilles de la capitale.

Depuis le 7 septembre dernier, Sylvestre Wahid régale les papilles parisiennes chez Thoumieux_ © Alban Couturier

Depuis le 7 septembre dernier, Sylvestre Wahid régale les papilles parisiennes chez Thoumieux_ © Alban Couturier

Si l’on a beaucoup parlé du départ de son prédécesseur Jean-François Piège, parti pour ouvrir son propre restaurant, depuis son arrivé, l’ancien chef 2×2 étoiles de l’Oustau de Baumanière (Baux-de-Provence) et du Strato à Courchevel s’est montré discret. Et pour cause, il s’approprie les lieux, analyse, observe, échange, invente, prépare et goûte les mets qu’il présente sur les trois nouveaux menus – contre un seul du temps de Jean-François Piège – qu’il sert dans le restaurant gastronomique qui porte désormais son prénom.

Si le chef fait aujourd’hui parti des cuisiniers que l’on surveille de près, rien ne le prédestinait à se retrouver derrière un fourneau et encore moins en France. Né dans les montagnes pakistanaises, Shahzad débarque dans l’hexagone à l’âge de neuf ans. Dès son arrivée, son père – légionnaire ayant obtenu la nationalité française – le rebaptise Sylvestre. Inscrit dans une école catholique du sud de la France, sa famille rêve pour lui d’une carrière d’avocat ou de médecin. Après plusieurs vacances passées dans les cuisines de l’armée, ce sera finalement cette voie qu’il choisira de suivre, poussée par une rencontre, celle du chef Thierry Marx. Officiant, à l’époque, au prestigieux Cheval Blanc à Nîmes, le chef repère rapidement le talent du jeune homme et lui propose alors un apprentissage. Pour ce dernier, c’est le début d’un marathon au sein des plus grandes maisons : Les Elysées du Vernet à Paris (2 étoiles), le 59 Poincaré puis le Plaza Athénée du temps de Jean-François Piège. A cette époque, Alain Ducasse repère déjà son potentiel. Il l’emmène alors à New York au sein de son établissement Alain Ducasse at the Essex House avant de le débaucher pour son centre de formation. En 2005, sa technique, sa créativité et ses efforts ne tardent pas à payer. Il est repéré par Jean-André Charial et intègre -avec son frère en pâtisserie – l’Oustau de Baumanière. En l’espace de neuf ans, il apportera à cette bastide un élan de modernité.

Appelé par les frères Costes à la tête du groupe Beaumarly en début d’année, Sylvestre Wahid n’hésite pas une seconde. Depuis le 7 septembre 2015, l’univers Thoumieux, c’est donc désormais lui. Au même titre que nos bambins, le chef à lui aussi fait sa rentrée. Dans son cartable, il a imaginé –accompagné d’India Mahdavi – une nouvelle ambiance, plus naturelle et végétale. Toujours là, les banquettes et les fauteuils ont été relookés avec des tissus plus acidulés, moins « bling-bling ». Le tout agrémenté de quelques plantes vertes qui, ensemble, reconstituent l’esprit d’un jardin d’hiver. Sous la verrière, chacune des tables est nappée et dressée dans l’esprit d’une salle à manger douillette. De quoi se mettre en appétit pour débuter cette symphonie gastronomique.

En guise de prélude, quatre bouchées ouvrent le bal. Mention spéciale pour la langoustine yuzu et caviar ultra moelleuse et gourmande, la tartelette lentilles corail et cèpes, très terroir ou encore la macédoine truffe noire roulée dans une tranche de jambon. Une chose est sûre, rien à voir avec les mauvais souvenirs de la cantine !

Amuse-bouches, quatre bouchées terre et mer pour commencer le repas_© Clémence Rouyer

Amuse-bouches, quatre bouchées terre et mer pour commencer le repas_© Clémence Rouyer

A la carte, le choix est là. Avec pas moins de trois menus – entièrement modulables, il y a de quoi se faire plaisir. Vous n’aimez pas l’agneau qui se trouve la formule « Richesse de nos terroirs » ? Pas de panique, il est parfaitement possible de le troquer contre un Omble chevalier du lac de Grand Lieu doré en écailles, poireau crayon écrevisses « pattes rouges » et truffe noire du menu « Océan, mer, lac et rivière » ou bien par un classique de menu « Signatures » tel que l’œuf de poule, cèpes au fumet de truffes blanches en chaud-froid.

Si l’on peut switcher les plats, il est en revanche impossible d’être lésé car le chef a pris le soin pour chacun d’entre eux de composer avec des produits d’exception. Ainsi, caviar, cèpe, homard, foie gras, truffe blanche d’Alba et truffe noire défilent pour le plus grand plaisir de nos papilles.

Tendance cet hiver, le bouillon fait son grand retour sur les tables gastronomiques. Celle de Sylvestre Wahid n’échappe évidemment pas à la règle avec son bouillon de roche façon Thaï à boire comme à la maison.

Bouillon de Roche façon Thaï, parfum de citronnelle, légèrement relevé_© Clémence Rouyer

Bouillon de Roche façon Thaï, parfum de citronnelle, légèrement relevé_© Clémence Rouyer

Après un plongeon dans les abysses de la Méditerranée, c’est bel-et-bien sur terre que l’on revient pour démarrer ce dîner avec des saveurs végétales qui nous transportent au cœur d’une prairie ensoleillée. Dans ce jardin éphémère, le chef joue avec les textures. Les radis croquent sous la dent, le quinoa roule sous le palais, et la gelée glisse sur la langue pour un résultat tout en fraîcheur.

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Eau de concombre, cannelloni végétal, quinoa fleur de sel aux olives noires_© Clémence Rouyer

Parmi les partitions du chef, il y en a une dont les accords résonnent à merveille. Classique du genre, l’œuf et la truffe se superposent dans ce plat doux et un poil régressif.

Parmi les signatures de Sylvestre Wahid, l’œuf de poule, cèpes au fumet de truffes blanches en chaud-froid ne laisse pas indifférent_© Clémence Rouyer

Parmi les signatures de Sylvestre Wahid, l’œuf de poule, cèpes au fumet de truffes blanches en chaud-froid ne laisse pas indifférent_© Clémence Rouyer

Avec sa chair fine, l’erreur de cuisson ne pardonne pas sur ce poisson des lacs. Véritable star du plat, l’Omble Chevalier est juste rôti et fond dans la bouche comme un bonbon. Un classique bien exécuté que l’on assaisonne à sa guise – en effet, Sylvestre Wahid a pris le parti de n’assaisonner aucun plat du menu « Océan, mer, lac et rivière »- en choisissant l’une des quatre variétés de sel qui se trouve sur notre table. Bleu de Perse, rose de l’Himalaya, fleur de sel de Camargue et sel noir d’Hawaï, chacun possède son propre caractère, plus ou moins iodé et minéral.

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Omble chevalier du lac de Grand-Lieu doré en écailles, poireau crayon écrevisses « pattes rouges » truffe noire_© Clémence Rouyer

C’est l’automne et forcément les premiers cèpes sont là ! En tarte fine, en consommé, en salade accompagné de parmesan, cru ou rôti, ils sont partout et donnent une partition en trois actes.  Une belle surprise qui nécessiterait sans doute une annonce lors de la prise du plat au risque d’avoir les yeux plus gros que le ventre.

Les premiers cèpes_ Salade d'herbes, cèpes et parmesan_© Clémence Rouyer

Les premiers cèpes_ Salade d’herbes, cèpes et parmesan_© Clémence Rouyer

 

Les premiers Cèpes_Consommé de cèpes_© Clémence Rouyer

Les premiers Cèpes_Consommé de cèpes_© Clémence Rouyer

Entre terre et mer, ce plat nous offre la douceur de la mer et la puissance de la terre. Bien relevé, le homard se déguste en quelques bouchées seulement. On demanderait bien la recette pour la reproduire à la maison.

Homard bleu foie gras, cèpes, capucine_© Clémence Rouyer

Homard bleu, foie gras, cèpes, capucine_© Clémence Rouyer

Côté sucré, le chef nous ramène dans le sud qui a bercé son enfance. Cru, cuite, rôtie, confite, la figue est reine. Le tout accompagné d’une crème glacée à l’huile d’olive qui apporte une once de gourmandise sans saturer notre palais.

Figues de Solliès, rôties au jus de « Sycomore », crème glacée à l’huile d’olive_© Alban Couturier

Figues de Solliès, rôties au jus de « Sycomore », crème glacée à l’huile d’olive_© Alban Couturier

Après quelques jours d’ouverture seulement, tout est déjà bien rôdé. A l’heure d’écrire ce billet, plusieurs semaines ont passé déjà avec toujours la même impression que c’était hier. Ces souvenirs encore palpables devraient rester dans mon esprit pour un long moment, preuve que c’est une table qui ne s’oublie pas.

 

Restaurant Thoumieux (Paris 07) – Ouvert au dîner du mardi au samedi de 19h00 à 22h30 et au déjeuner les jeudis et vendredis de 12h00 à 14h00 – 3 Formules à 110€, 155€ et 190€, hors boisson.