C’est au cœur de l’un des endroits les plus prestigieux de la capitale que le restaurant Lasserre continue sa quête du savoir-faire à la française. Véritable institution parisienne – située au carrefour des Champs-Elysées et de l’Avenue Montaigne – cet ancien bistrot-hangar construit pour l’exposition universelle de 1937 se transforme rapidement en salon littéraire et artistique qui voit défiler le tout Paris, élégant et apprêté. Chagal, Dali, Jean-Claude Brialy ou encore Romy Schneider viendront faire leur cinéma au milieu des poulardes coupées au cordeau, des canards au sang et des crêpes Suzette flambées à la minute.
En soixante-trois ans de service, la maison n’a cessé de faire le spectacle comme le souhaitait son fondateur, René Lasserre. Si aujourd’hui les colombes ne volent plus entre deux plats, on reste ébahi par le faste de la décoration de style Belle-Époque qui orne cette salle à manger aux allures royales. Un contraste encore plus saisissant lorsqu’on vient de prendre l’ascenseur riquiqui, vêtu d’une tapisserie en velours d’une autre époque.
Déjà venue pour goûter les pâtisseries de la chef Claire Heitzler –qui a annoncé son départ de la maison en septembre prochain- c’est désormais pour déguster les créations du jeune chef Adrien Trouilloud que je suis là. Encore peu connu du grand public, ce chef en devenir a intégré la prestigieuse maison en décembre dernier avec un seul objectif en tête, faire au moins aussi bien que son prédécesseur (ndlr : Christophe Moret parti rejoindre le restaurant L’Abeille au Shangri-Là Paris) en dégainant ses propres armes. Formé en partie par Alain Ducasse (restaurant le Louis XV à Monaco, Le Dorchester à Londres, le Jules Verne et le Rech à Paris), le savoyard dispose de solides bases derrière les fourneaux, et ça se voit dans l’assiette ! Parfaitement assaisonnés, les textures se mélangent et les goûts s’entrechoquent aux côtés des classiques de la maison : macaroni, truffe noire et foie gras de canard, et canette de Challans frottée aux épices douces, navets, cerises burlat.
Sur la carte, ce sont six entrées, quatre poissons et quatre viandes que le chef compose sous l’œil avisé de son nouveau directeur général, Dominique Potier (ancien directeur du restaurant Beige Tokyo Alain Ducasse). En salle, notre déjeuner commence par un quatuor de tartelettes légères et bien parfumées. Tandis que la crème d’oseille s’associe croquant du radis noir Daïkon, la crème basilic défit la betterave jaune râpée et le citron vert. De son côté la carotte s’accorde avec le gingembre et le bar servi en tartare, retrouve l’iode du caviar et la fraîcheur du citron. De quoi nous mettre en appétit !
Cap ensuite vers le sud avec une entrée remplie d’iode et de soleil. De cette composition, les parfums de la Méditerranée croisent ceux de la baie de Somme avec ses jeunes pousses cueillis à l’état sauvage.
Si le poisson fait parti des ingrédients favoris d’Adrien Trouilloud, il ne fait cependant pas figure de monopole. Fils d’horticulteur, le savoyard a longtemps voulu être jardinier. Avec cette interprétation colorée et sauvage, il nous livre sur un plateau, quelques souvenirs d’enfance.
Légume du potager, la tomate se transforme sous les mains du jeune chef. De la peau à la chair en passant par les pépins, rien est perdu ! Chaque partie du fruit trouve sa place dans cette assiette estivale, fraiche et gourmande. Un vrai coup de cœur à dévorer sans modération !
Symbole de la maison, le découpage en salle fait toujours son effet. Levés et découpés à la perfection, les filets de sole de Bretagne de Gilles Jégo sont manipulés avec la plus grande délicatesse. Garnie de petites pommes de terre de Noirmoutier, justes salées et d’un condiment d’ail noir légèrement sucré – car confit au préalable après avoir effectué un séjour de quatre à six semaines dans l’eau de mer – cette recette pour le moins gourmande nous rappelle les souvenirs d’un repas au bord de la mer. Un exploit en plein Paris !
Cap vers le sud à nouveau et plus particulièrement la Provence avec cet agneau de lait de l’Aveyron parfumé à la sarriette. Il ne manquerait plus que quelques cigales aux alentours.
Enfin, côté sucré, on ne pouvait pas ne pas terminer par les fameuses crêpes Suzette dont la recette a été revisitée par la chef pâtissière, Claire Heitzler. Parfumé juste comme il faut et pas trop sucrée, la sauce se compose de citron, de Grand Marnier, d’orange, de beurre et d’un chouia de sucre.
En quelques mois seulement, Adrien Trouilloud réussi à donner un nouveau souffle à cette maison légendaire. Avec sa cuisine contemporaine et riche en goût, il risquerait bien de hisser le restaurant au plus près des étoiles. Affaire à suivre…