Aussi connu que nos macarons outre-Atlantique, le cheesecake est devenu, en quelques mois, le dessert le plus trendy de la capitale. Pour s’en rendre compte, direction le très branché quartier Saint-Paul, au cœur du Marais, à la rencontre de celle que l’on surnomme « The Queen of the Cheesecake ». À trente-deux ans, Séphora Saada affiche déjà deux boutiques au compteur (She’s Cake, Paris, 12e et 4e arr.). Déçue de ne pas trouver de cheesecake à son goût dans la capitale, elle décide alors de prendre les choses en main. Dans sa vitrine, on est bien loin du stéréotype du gros gâteau au fromage coupé en parts triangulaires, souvent jugé trop lourd, trop kitch et trop sucré par les palais français. Parmi les dix-huit recettes qu’elle élabore chaque jour, il y en a pour tous les goûts. Rond, coloré et élégamment décoré, chaque gâteau possède sa propre personnalité. Puissant et costaud, les hipsters du quartier opteront pour le Cappucino (café, crème chantilly, chocolat amer en poudre). Composé de moutarde japonaise, d’une ganache au chocolat blanc et de framboises fraîches, Ellie-Wasabi séduit quant à lui les touristes japonais avides de sensations fortes. Enfin, fruité et fleuri, Purple Cristal (fleur de violette, myrtilles et cristal à la violette) enchante facilement nos mères-grands en quête de dépaysement. Furieusement addictif, ce petit bijou serait-il en train de donner quelques sueurs froides à l’oncle Sam ?
Interview de Séphora Saada
Comment devient-on la reine du cheesecake ?
Séphora Saada : Qu’il soit salé ou sucré, le cheesecake est mon produit phare. Durant mes voyages, je me suis aperçue que même au fin fond de la Chine, il y avait un cheesecake à la carte. En revanche, à Paris, il était difficile de trouver cette spécialité new-yorkaise. Il existait déjà des boutiques dédiées au chocolat, alors pourquoi ne pas en ouvrir une consacrée au cheesecake…
Ton premier face-à-face avec un cheesecake, tu t’en souviens ?
J’ai grandi dans la rue des Rosiers (Paris 04), non loin de la boulangerie Florence Kahn à la devanture bleue. Avec ma mère, nous nous y rendions après l’école. Souvent, je prenais un Sernik, un gâteau au fromage polonais. Pour moi, le cheesecake fait partie de mes goûts d’enfance.
Avant d’ouvrir She’s Cake, tu as parcouru le monde pendant deux ans. Dans quel pays as-tu mangé les meilleurs cheesecakes ?
Au Japon car ils ont une multitude de recettes ! Il y a tellement de couleurs et de parfums que ça en donnerait presque le tournis. Quel que soit l’endroit où l’on va, on est sûr de découvrir de nouvelles saveurs.
Ta première recette de cheesecake, c’était plutôt un top ou un flop ?
Elle était catastrophique ! C’est mon frère qui l’a goûté le premier (ndlr : Yoni Saada, chef du restaurant Miniatures (Paris 16) et ancien candidat de l’émission Top Chef). Ça ressemblait davantage à un petit-suisse qu’à un cheesecake car, au départ, j’utilisais des verrines, ce qui créait de la condensation lors du refroidissement. Résultat, la texture était très humide, limite mouillée.
© Photo Sarah Aubel / Agent Mel ]
© Photo Sarah Aubel / Agent Mel ]
Ta recette de cheesecake diffère-t-elle de la recette américaine ?
Je déteste sentir le beurre et le sucre ! Afin d’éviter d’avoir un gâteau trop lourd, je me suis beaucoup inspirée du chiffon cake japonais composé d’une génoise très spongieuse. Comme dans la recette américaine, j’utilise une base de cream cheese Philadelphia à laquelle je rajoute de la crème fraîche épaisse (30 % de mat. grasse), des œufs et du sucre semoule.
As-tu adapté certaines préparations pour le public français ?
Au lieu d’utiliser les biscuits américains Graham pour la pâte, j’utilise des petits-beurres car j’aime retrouver ce goût d’enfance. Certaines créations font aussi référence à des classiques de la pâtisserie française tels que le Honey-Moon (citron, miel, meringue au romarin) qui rappelle la tarte au citron meringuée ou le Queen Cake, un saint-honoré fourré avec une crème de cheesecake.
Quel est l’ingrédient indispensable pour un bon cheesecake ?
Plus qu’un ingrédient, je parlerais plutôt d’un ustensile. Lors de la cuisson, le biscuit se rétracte, du coup, si l’on ajoute la crème au-dessus, tout coule ! Pour éviter ce phénomène, j’utilise des cuillères que j’ai tordues de manière à ce que je puisse ré-égaliser les bords. Ces dernières sont issues d’un vieux service de famille et comme je n’en ai pas cinquante, tout le monde fait attention car elles sont très précieuses pour moi.
De la préparation au service, quelle est l’étape la plus délicate ?
Beaucoup de personnes me contactent lorsqu’elles arrivent en fin de cuisson. Elles remettent le gâteau au four car elles ont l’impression qu’il n’est pas cuit. C’est une erreur car c’est à ce moment-là qu’il gonfle et qu’il se fissurera en refroidissant. Il doit être juste tremblotant avec une fine pellicule qui montre qu’il est cuit. La cuisson à basse température est fondamentale pour avoir une crème légère et aérienne.
Cette année, tu fêtes les cinq ans de She’s Cake. Durant cette période, tes recettes ont-elles évolué ?
Plus on avance dans le temps et plus nos recettes se complexifient. On réalise désormais beaucoup d’inserts. On met notre préparation dans des moules en silicone demi-sphère et lorsqu’on ouvre le gâteau, on obtient un cœur coulant. C’est le cas des cheesecakes lavande/cœur abricot aux amandes et matcha/cœur de beurre de cacahuète.
On connaît bien le cheesecake sucré. Proposes-tu également des recettes salées ?
Chaque semaine, je réalise deux-trois recettes salées que je dresse à la minute pour nos formules. Feta-miel-romarin, chèvre-pesto, camembert-épices indiennes, ou encore comté-moutarde à l’ancienne fonctionnent très bien.
Leur préparation nécessite-t-elle d’adapter l’appareil de base ?
Le socle est cette fois-ci réalisé à base de biscuits apéritifs salés. Dans la recette de la crème, il n’y a pas de sucre. Il est aussi important de prendre en compte le type de fromage choisi. Le gorgonzola, par exemple, devra être fondu avec du lait avant d’être intégré à la crème.
Le cheesecake est un dessert encore inconnu pour bon nombre de Français. Qui sont les plus durs à convaincre, les grands ou les petits ?
Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, les personnes âgées aiment le cheesecake car on y utilise des parfums subtils comme la rose, la vanille, la violette ou encore le praliné. Les hommes quant à eux prennent toujours un cheesecake Cappuccino (café, crème chantilly, chocolat amer en poudre). Les plus jeunes sont souvent attirés par le Subtil (fleur d’oranger, éclats d’amande) décoré avec une petite fleur.
Enfin, si tu devais ouvrir une boutique prochainement, irais-tu taquiner oncle Sam ?
Ce n’est pas vraiment dans les clous en ce moment ! (rires) Mais je pense que je transformerais sans doute le She’s Cake en She’s Cook avec une offre salée plus diversifiée et cuisinée pour aller à New York, chatouiller le « king » du cheesecake.
[ Texte Clémence Rouyer]