Ce 20 mai 2016 a comme un goût de nostalgie. La poignée de main matinale de Franka Holtmann, directrice de l’hôtel Le Meurice, l’adrénaline à l’arrivée du coup de feu, les kilomètres de couloirs interminables derrière les grands salons feutrées, les batailles à la cantine du personnel pour chaparder une petite part de tarte au citron meringuée … Les souvenirs de mon passage côté coulisse –il y a six ans déjà – se bousculent dans ma caboche dès lors que je franchis l’entrée du restaurant par la grande porte.
Jocelyn Herland, nouveau chef de file
Depuis, il en est passé de l’eau sous les arcades du 228 rue de Rivoli. Après deux années sous la houlette du chef exécutif Christophe Saintagne, le restaurant le Meurice Alain Ducasse s’offre une nouvelle tête de file. Venu tout droit du royaume de sa Majesté, c’est désormais le chef Jocelyn Herland qui a pris les rênes des cuisines mi-janvier dernier. Bras-droit du chef monégasque depuis quinze ans, il a entre autres réalisé l’ouverture du restaurant Alain Ducasse at The Dorchester*** (Londres) en 2007.
Un changement qui tombe à pic avec les projets de l’hôtel qui prévoyait de redonner un coup de jeune à sa légendaire salle de restaurant, construite en 1835, sur le même modèle que le salon de la Paix du Château de Versailles. Après le Plaza Athénée en 2014 et le Louis XV à Monaco, c’est donc le Meurice qui a vu sa salle de restaurant fermer ses portes pendant trois semaines, courant février dernier, pour un lifting discret, qui ne se dévoile que sous les yeux les plus avertis.
Pour opérer ce changement, c’est le designer Philippe Starck qui a été mis à contribution. Déjà à l’origine d’une première rénovation des espaces de restauration de l’hôtel en 2007, il s’est cette fois-ci attaqué à la Galerie Pompadour qu’il a transformé en un espace détente rattaché au bar 228 (en plus des restaurants le Dali et le Meurice Alain Ducasse).
Métamorphose Daliesque
Fidèle à l’un de ses habitants les plus emblématiques, le peintre Salvador Dali – qui rappelons-le vivait dans sa chambre avec ses guépards qui prenaient un malin plaisir à faire leurs griffes sur la moquette, l’établissement a également décidé de disperser quelques clins d’œil et références à l’artiste dans plusieurs ailes de l’hôtel. Un univers que Philippe Starck a décidé d’interpréter dans le détail : « Si Dieu est dans le détail, le diable du surréalisme aussi. Le Meurice est un espace mental où tout est poésie, allusion, référence, réflexion et diffraction. Où l’air est en vibration comme une petite musique mystérieuse, envoûtante et amicale. Comme un esprit, le Meurice est unique », confie le designer.
Une folie artistique qui prend sa source dans le détail
C’est finalement au fil du repas que chacun des détails se révèlent un-à-un. Et c’est d’abord par le toucher que la découverte est la plus flagrante. Douceur, confort, sensation d’enveloppement et de légèreté sont ressentis dès la première assise dans l’une des répliques de l’iconique chaise Tulip du milieu des années 50, dessinée par Eero Saarinen. A ma gauche, des flammes crépitent dans la cheminée. Pas d’affolement, le détecteur de fumée ne risque pas de se déclencher avec cette cheminée qui s’inscrit dans le mouvement artistique surréaliste. Autre clin d’œil contemporain, les deux paravents situés aux extrémités de la salle qui délimitent les frontières entre scène et coulisses. Dessus, croquis, photos, ou encore citations font référence au peintre sacré.
Si les dorures et le cristal sont bel-et-bien présents, le verre trouve lui aussi sa place dans cette nouvelle œuvre, à l’image de la sculpture imaginée par Aristide Najean, verrier de Murano, qui a emprisonné le mouvement de l’eau qui jaillit depuis une vasque en forme de coquille saint-jacques. Même avec de bons yeux, avouons qu’il est préférable d’être averti pour comprendre le travail de cet artiste. Plus facile à identifier, les verres à eau qui se trouvent sur les tables proviennent eux aussi de l’île italienne.
On remarquera également la petite touche personnelle du chef star, Alain Ducasse. Véritable chineur, il a lui-même disposé quelques pièces personnelles de sa collection de moules en cuivre. Ceux qui tenteraient d’en subtiliser un seront prévenus. Ils auront à faire à Frédéric Rouen, le directeur de salle, qui veille sur eux, comme la prunelle de ses yeux.
Enfin, au centre de la salle, ce sont les fruits et les légumes qui sont à l’honneur. A l’état brut –et mis en place deux fois par jour – ils donnent un avant-goût de ce qui se trouvera dans notre assiette.
Un repas sans fausses notes
Ici pas besoin d’un discours appris, récité et recraché à la va-vite, le produit est bien palpable. Caviar Schrenki du fleuve Amour en Chine, beurre de Pascal Sutra, pains de Dominique Saibron, petite cocotte de légumes bio de Créance, en Normandie… chaque plat sonne comme une ode aux artisans. Derrière cette mise en scène, se cache une philosophie, celle que souhaite retransmettre le chef Alain Ducasse, cuisiner pour faire ressortir une texture, un aliment ou une saveur parfois oubliée, en bref, conserver uniquement les marqueurs de l’essentiel qui sauront s’imprimer parmi nos souvenirs les plus marquants.