Le 02 novembre 2016 signe le premier jour du reste de sa vie. Au fil des mois la rumeur grandissait et c’est désormais officiel, le chef doublement étoilé Jean Sulpice et sa femme Magali, sont désormais les propriétaires de l’Auberge du Père Bise, à Talloires, en Haute-Savoie. Si le chef n’aura plus les pieds dans la neige six mois par an, il aura désormais la tête dans les montagnes avec en toile de fond, le massif des Bauges, le mont des Aravis et le sommet du massif des Bornes (La Tournette) culminant à 2400 mètres d’altitude.
Au lendemain du rachat de cette maison emblématique ayant appartenue à Marguerite Bise, l’une des quatre femmes à avoir obtenu trois étoiles au Guide Michelin, Jean a déjà lancé le coup d’envoi des travaux qui devraient durer sept mois et concerner, à la fois, la salle de restaurant, la cuisine et les chambres de l’établissement.
Bien qu’il ne s’agisse pas de sa première ouverture, l’excitation est la même et le chef est fier de pouvoir, à son tour, écrire une nouvelle page à cette table mythique. « A 78 ans, Charline Bise est une femme qui a su porter haut et fort la gastronomie pendant plus de cinquante ans. Magali et moi avons un profond respect pour ce qu’elle a fait. C’est une maison d’hommes et de femmes et il y a une phrase de Charline que je retiendrais particulièrement : « j’ai vendu ce restaurant à un cuisinier et à sa femme et non à un étranger. » Elle aurait très bien pu le faire mais elle nous a choisi nous, ce qui est une très grande preuve de confiance que l’on espère bien lui rendre. », nous confie Jean Sulpice.
En attendant le retour du printemps où le chef aura déjà bien pris racine, on en a profité pour lui dérober quelques informations sur la genèse de ce nouveau projet et sur les nombreuses idées qui frétillent dans sa tête.
Arts & Gastronomie : L’annonce de ta reprise de l’Auberge du Père Bise a fait grand bruit. Depuis quand as-tu ce projet en tête ?
Jean Sulpice : Le dernier service du restaurant s’est fait ce lundi 31 octobre et Magali et moi sommes propriétaires des lieux depuis mercredi. Mais comme Rome, cette signature ne s’est pas faite en un jour. Quatre années ce sont passées entre le moment où j’ai appris que l’établissement était en vente et le 02 novembre dernier.
En 2002, tu ouvrais ton premier restaurant à Val Thorens. Comment abordes-tu cette nouvelle ouverture ? L’expérience de la première fois simplifie-t-elle les choses ?
Il est évident qu’avec l’expérience, on voit les choses différemment mais une ouverture n’est jamais facile à gérer du fait de la part d’ombre qui en découle. C’est certain qu’il nous faudra un peu de temps pour prendre nos marques et trouver le bon équilibre pour, à la fois respecter la dimension historique du lieu, et introduire notre patte.
Le gratin de queues d’écrevisses et la poularde de Bresse à l’estragon était quelques-uns des plats emblématiques de Marguerite Bise. Seront-ils à la carte du restaurant ?
Il est très probable que je réalise des plats qui s’en inspirent mais je conserverais toujours mon style de cuisine et l’univers que je me suis créée à Val-Thorens. Je souhaite m’exprimer pleinement, je ne compte pas m’asseoir sur des acquis.
Les herbes sont la base de ta cuisine. Comment feras-tu pour partir à la cueillette au bord du lac ?
J’ai travaillé pendant cinq ans chez Marc Veyrat à Veyrier-du-lac (ndlr : auberge aujourd’hui reprise par Yoann Conte**) à cinq minutes à peine du Père Bise donc, j’ai déjà la chance de connaître les spots à cueillette. Je cuisinerais aussi du poisson pêché dans le lac et puis surtout, la grande nouveauté, ce sera désormais que ma cuisine s’exprimera sur quatre saisons puisque nous serons ouverts toute l’année.
Marguerite Bise – l’une des seules quatre femmes à avoir obtenue 3 étoiles au guide Michelin – a fait de cette adresse un mythe. Là-bas sont passés Alain Chapel, Paul Bocuse ou encore Jean Troisgros qui ont tous eu trois étoiles eux aussi. Penses-tu à ton tour pouvoir hisser cette adresse en haut de l’affiche ?
Si, avec Magali, on reprend cette maison c’est pour continuer à écrire son histoire mais c’est certain que ça ne suffira pas. Ce sera bien évidemment notre travail et un petit coup de pouce du destin qui feront que les trois étoiles viendront ou non. Pendant quatorze ans, nous avons su apporter la gastronomie dans un lieu hostile où elle n’y avait pas forcément sa place du fait de l’altitude. Durant ces trente prochaines années, nous comptons bien voir le restaurant rempli et que nos clients reviennent parce qu’ils se sentent chez nous, comme chez eux.
Avec Laurent Petit, Marc Veyrat et Yoann Conte dans les parages, il y a tout de même pas mal de concurrence aux alentours ?
Chaque cuisinier à sa propre identité et je ne pense pas ce soit un frein à l’expression de notre passion. Je suis persuadé que le monde attire le monde, c’est notamment ce qui a été le cas à Val Thorens où nombreux sont les établissements qui sont sortis de terre et qui ont apporté un nouveau dynamisme à la station.
Comme dit le slogan, « la montagne, ça vous gagne ! ». En étant à la tête de ce nouveau projet, tu n’as pas peur qu’elle te manque ?
L’Auberge du Père Bise se situe en plein cœur des montagnes avec en plus, les pieds dans l’eau, donc je ne pouvais pas rêver mieux ! Seulement ici, nous sommes à une altitude qui sera plus facilement accessible pour tous. Nous avons l’avantage d’être dans un petit village avec, en même temps, la proximité de la ville.
Enfin, si je comprends bien, le restaurant Jean Sulpice à Val Thorens vit ses derniers instants ?
Nous rouvrons mi-novembre mais ce sera peut-être, en effet, notre dernière saison cet hiver à 2300 mètres d’altitude !