Quitter la grande bleue, le soleil et le chant des cigales pour des coteaux brumeux, des prairies humides et des températures capricieuses, certains diront : « mieux vaut être fada que d’entendre ça » ! Pourtant, c’est le pari qu’a fait Guillaume Royer en quittant le petit village du Castellet pour la Bussière-sur-Ouche. Loin d’être parachuté dans une région qu’il ne connaît pas, le trentenaire revient sur les terres de son enfance. Originaire de Châteauneuf-en-Auxois à une quinzaine de minutes de l’abbaye, le gamin du cru jubile, des étoiles plein les yeux.

Guillaume Royer Abbaye de la Bussière

Retour aux sources

En quelques mois seulement, le petit nouveau a retrouvé ses marques. Accompagné de son plus fidèle compagnon, un épagneul breton, il tâte le terrain à la recherche de petits trésors enfouis dans les prairies et forêts avoisinantes. Pour comprendre cet attachement pour Mère Nature, il faut remonter quelques années plus tôt, « lorsque j’étais enfant, je voulais devenir paysan », nous confie-t-il. Véritable bouffée d’air frais entre deux jours de classe, le jeune garçon attendait avec impatience les escapades dans la ferme de sa grand-mère, à la Grande Vendue. « à l’école, je n’étais bon que grâce au chantage. C’est ma note à la dictée du vendredi matin qui déterminait si j’allais me rendre ou non chez ma grand-mère. En dessous, de 5/10, c’était un drame. J’étais privé de ferme. » Au cœur de ce grand terrain de jeu à ciel ouvert, les souvenirs avec ses quatre frères et sœur sont nombreux. Une fois le lait tiré à la main de bon matin, les enfants dégainent les bols et le cacao en poudre pour profiter du lait encore chaud. à midi, ce sont les tartines de pain et de beurre, le fromage ou encore, les tranches de jambon fumé dans l’office qui suscitent la gourmandise. Si ces souvenirs d’enfance marquent peut être le début d’une vocation, ce n’est pourtant pas encore tout de suite que Guillaume fera ses premiers pas derrière les fourneaux, « je regardais ma grand-mère plus que je ne cuisinais. Elle ne voulait pas trop que je m’approche car je me salissais assez facilement. Ma mère avait d’ailleurs pris l’habitude de m’habiller en dernier parce que j’étais toujours le premier à revenir sale ».
Trente ans plus tard, les tâches ont disparu, laissant place à une tenue irréprochable, arborée du fameux col bleu-blanc-rouge. « Tout comme le port d’un uniforme, ce col impose une certaine éthique. Avec, on n’a pas le droit à l’erreur. En plus de ne pas me salir, je fais attention à ne pas me couper, ni me brûler ».

Guillaume Royer Abbaye de la Bussière

Tour de France des saveurs

Si aujourd’hui, Guillaume Royer est sûr de sa cuisine, c’est bien parce qu’il a potassé son sujet de A à Z. à la sortie de la troisième, c’est par la case pâtisserie qu’il démarre chez le « père Vasseur » à Pouilly-en-Auxois. Rapidement, il est plongé dans la vie active et voit les heures défilées à vitesse grand V.
« On commençait à 4h00 pour finir à 12h et reprendre ensuite de 13h30-16h00 ». Deux ans plus tard, il compte bien mettre son grain de sel dans cette affaire. « J’étais privé de tout, il fallait agir, c’était devenu une punition ».
Sur les conseils de jeunes de son âge, il tente sa chance à l’Hôtel de la Poste sous la houlette de Christian et Anthony Bonnardot. Là-bas, il y apprendra les bases de la cuisine, à réduire un jus, ciseler une échalote ou encore, habiller une volaille. Au-delà, de la technique, le jeune apprenti se met à rêver lorsque le proprio dégaine ses aventures outre-Atlantique. Il enchaînera ensuite deux saisons d’hiver à Crans Montana avant de décrocher une place chez Jacques Lameloise***. « C’était l’élite. De plus, je n’étais pas le « fils de », j’étais juste le petit commis de rien du tout. Au début, tu ne touches à rien, tu as juste les yeux qui brillent. »
Le premier jour, c’est un certain Thomas Compagnon (L’Écusson, Beaune) qui le prend sous son aile. Entre les deux caractères, le courant passe. La chasse et la cueillette des champignons constituent rapidement un point commun qui confirme sa vocation pour le métier de cuisinier. Cap ensuite, au sud, direction Eze (Alpes-Maritimes) à la Chèvre d’Or** pour une saison estivale on ne peut plus chaude – et pas que sur la plage. En cuisine, la concurrence est là. Les poignées de sel dans le plat du copain sont de bonne guerre. Pour Guillaume, s’en est trop, il quitte le navire pour des eaux plus calmes. Chez Régis Marcon, le roi du champignon, à Saint-Bonnet-le-Froid (L’auberge des Cîmes***, Haute-Loire), il nage comme un poisson dans l’eau. Après deux années intenses, il s’envole pour l’île de beauté dans la brigade d’un certain, Christophe Bacquié à Calvi. Après quelques mois passés ensemble, le coup de foudre tarde à venir. « Je ne savais pas si j’allais rester car Christophe avait vraiment le sang chaud mais je ne regrette pas, car c’est une personne attachante, un brin sauvage, comme un sanglier corse ». Il faudra cependant du temps aux deux hommes pour s’apprivoiser. L’aventure durera dix ans, jusqu’à fin 2015, à l’hôtel du Castellet** (Var).

Guillaume Royer Abbaye de la Bussière

Le premier jour du reste de sa vie

à trente-six ans, Guillaume Royer a désormais envie de voler de ses propres ailes. En février dernier, deux Anglais, Clive et Tanith Cummings, amoureux des belles pierres et de notre « French gastronomy » livrent les clés de leur restaurant gastronomique et de leur brasserie au chef bourguignon. Aussitôt opérationnel, il se fixe un objectif :
faire découvrir les produits de sa région qui lui sont chers. En effet, ici, pas question de cuisiner des poissons de Méditerranée, ce sont la truite bio de Guillaume Baudry à Prégilbert, les lentilles de La Ferme Cérès, l’agneau de la ferme de Clavisy, la pièce de bœuf de race ancienne et son veau élevé sous la mère de la Boucherie
« Alviset » aux Halles de Dijon, ou encore, le safran des Aulnes de Joël Patin à Auxonne qui nous emmènent au cœur de la Bourgogne, le temps d’une balade gastronomique à effectuer les yeux bandés car ici, c’est le chef qui joue les guides le temps d’un repas. « Lorsqu’on se promène, on ne sait jamais sur quoi on va tomber. Et bien là, c’est pareil ». Et les premiers pas commencent avec une gougère au comté, juste tiédie, à dévorer du bout des doigts. Devenu un véritable best-seller, l’escargot de Frédéric Marcouyoux sort de sa coquille. Confit au Pontarlier, il trouve refuge sur un lit de poireaux et de céleri recouvert d’un beurre persillé. S’en suit, une forêt comestible parsemée de cèpes crus, justes snackés, mais aussi d’Amanites des Césars considérées par les spécialistes comme le roi des champignons. Le tout est assaisonné avec une sauce façon meurette, quelques croûtons et cébettes. Fruit de la chasse, le perdreau des Dombes accompagné d’une purée de potimarron et d’échalotes confites sonne l’heure du gibier. Enfin, côté sucré, les châtaignes du Morvan donnent du caractère à un grand classique de la pâtisserie française, le Mont-Blanc. Sans oublier le cassis de la Ferme du Colombier qui apporte un grain de peps aux poires du jardin.

Lancé sur la bonne route

Sept mois après son arrivée, Guillaume Royer marche désormais d’un pas bien ferme. Conscient que pour lui l’aventure vient juste de commencer, il compte bien pousser sa vision de la cuisine encore plus loin. Dès qu’il le peut, c’est désormais avec son équipe qu’il cueille les légumes du potager et les champignons. Et une fois en cuisine, pas question de gaspiller ! Tous les restes sont récupérés pour faire du compost et nourrir ses cochons. Le gamin du cru, devenu Meilleur Ouvrier de France, a désormais allumé tous les voyants au vert, pour faire de l’Abbaye de la Bussière, une table qui « vaut le détour ».

Abbaye de la Bussière
Route départementale 33
21360 La Bussière-sur-Ouche
Tél. 03 80 49 02 29
www.abbayedelabussiere.fr