A la tête du restaurant le Monte Cristo** depuis 2009, Christophe Bacquié a fait de ce lieu sa seconde maison. Situé face aux jardins du parc de l’hôtel, les 45 couverts du restaurant assistent à un véritable spectacle gastronomique avec une vue à couper le souffle. Si aujourd’hui, les grandes baies vitrées de la pièce nous donnent l’impression d’être au plus près de la nature, ce n’était pas le cas il y a quelques mois. D’un décor rustique cher aux maisons provençales, le chef a bouleversé tous les codes de la salle à manger traditionnelle. Désormais, les lignes sont épurées, les tables dé-nappées, les chaises enveloppantes, la moquette moelleuse et les murs se partagent entre le bleu électrique de la mer et le blanc soyeux des nuages. C’est donc entre ciel et mer que l’on s’installe pour déguster la cuisine abyssale du chef aux accents corses.
Aussi minutieux dans sa cuisine que pour chacun des objets qu’il a chiné pour habiller son restaurant, Christophe Bacquié est persuadé que « l’assiette ne changera pas le goût mais que l’œil et la vision peuvent sans aucun doute faire évoluer un plat ». Entièrement inscrit dans sa philosophie, ce nouveau décor annonce pour le chef du sud une nouvelle aire, pleine de nouveaux défis. Afin d’en savoir un peu plus sur les nouveaux projets du quarantenaire, c’est dans les cuisines de son restaurant que nous nous sommes faufilés pour une interview tournée vers l’avenir, au lendemain de la remise du titre de Meilleure Ouvrier de France de son second, Guillaume Royer.
L’hôtel rouvre après plusieurs mois de rénovation, quel était l’objectif de cette dernière ?
Christophe Bacquié : On a fermé de mi-décembre pour rouvrir le 4 mars dernier. Après 6 années passées à l’Hôtel du Castellet, notre objectif avec ma femme Alexandra, était d’avoir un lieu qui puisse pleinement évoluer avec la cuisine que je réalise. Je voulais que l’on puisse y trouver une continuité de la table jusqu’à l’assiette, ce qui n’était pas le cas avant. On était dans une salle de restaurant qui était froide, dont la disposition ressemblait davantage à une sorte de couloir dans lequel il était devenu difficile de se projeter.
Le choix d’un architecte a donc dû être essentiel ?
Même si l’on avait déjà effectué quelques rénovations, il arrive un stade où il faut passer le relais car ce n’est plus notre métier. C’est donc auprès d’Ivann Pluskwa, architecte d’intérieur, que nous avons formulé nos vœux. Sa vision et sa technicité ont été déterminantes. On a d’abord beaucoup échangé sur ma vision de la cuisine, de la restauration puis, plus généralement sur mon style de vie jusqu’à ce que les mots trouvent leur limite. Il est ensuite venu manger car je voulais qu’il puisse vivre un service afin qu’il puisse détecter ce qui fonctionnait et au contraire, ce qui était à reprendre.
C’était fondamental pour vous de prendre un virage aussi contemporain ?
C’est quelque chose que j’avais en tête depuis très longtemps mais qui était impossible à mettre en œuvre dans la conception que l’on avait avant. L’élément déclencheur s’est véritablement confirmé l’été dernier lorsque nous avons eu un temps catastrophique. Dire aux clients que l’on va manger à l’intérieur un 15 août, ce n’est pas facile. Il fallait donc absolument ouvrir en apportant de la lumière et de la visibilité, ce que nous avons fait en mettant de grandes baies vitrées en premier plan.
On dit que ce sont les petits détails qui font l’esprit d’un lieu, quels sont ceux sur lesquels vous avez insisté ?
La première priorité a été de mettre en place des tables sans nappes. L’architecte n’a eu aucune marge de manœuvre là-dessus. Je voulais une table qui ne soit pas simplement une table mais véritablement un objet. Je voulais absolument qu’elle soit blanche de manière à ce que l’on puisse réellement se plonger dans l’assiette. Pour ce qui est des assises, les sièges ont été spécialement conçus pour nous. Il était essentiel que l’on soit confortablement installé pour manger. Quant aux assiettes de présentation, ça été un véritable parti pris de les enlever et de les remplacer par cette vague en verre soufflé. Cet objet d’art est le symbole de mon attachement pour les abysses de la méditerranée. Même si je n’y suis plus, la corse n’est jamais très loin.
Et côté cuisine alors, la patte Christophe Bacquié, c’est quoi ?
Notre carte est composée à 70 % de produits issus de la pêche avec lesquels j’aime associer les produits de la côte tels que la myrte, le pois-chiche ou encore les agrumes. La chair de tourteau et Saint Pierre roulés façon « sashimi » est l’un des plats que je laisse à la carte et qui évolue au fil des saisons, un peu comme une signature.
Quel plat devrais-je absolument goûter avant de repartir ?
Je serais tenté de dire le merlu de Ligne cuit dans un beurre mousseux et accompagné de pommes de terre ratte, de truffe et d’un jus brun de volaille tranché truffé. Il s’agit véritablement d’un plat que j’ai pensé dans sa globalité, de son contenant à son contenu. C’est certainement le plat qui va refléter le plus ma cuisine en combinant à la fois les parfums de la Provence et les saveurs de la mer.
Vous avez à la fois la casquette de MOF et de chef doublement étoilé. Quel est le plus dur à obtenir, le titre de MOF ou bien l’étoile ?
Ça n’a rien à voir. D’un côté, le titre de Meilleur Ouvrier de France est un combat que l’on se livre à soi-même. Et de l’autre, les étoiles sont la récompense obtenue par toute une équipe. Il n’y a pas un chef au monde qui peut vous dire qu’il a réussi à décrocher une étoile tout seul.
Quelles sont les qualités à avoir pour devenir Meilleur Ouvrier de France ?
Il faut être extrêmement tenace et avoir une volonté de fer même s’il est vrai, qu’une grande partie est liée à la chance. Lorsque je suis arrivé en finale en 2004, j’ai voulu arrêter lros de la préparation car c’était vraiment dur. La répétition des gestes et l’amplitude de travail sont monumentales à se demander si l’on est encore cuisinier. C’est à partir de là ou être entouré est important. Il faut que le Jour J tous les gestes et les techniques apprises se mettent au vert. Beaucoup de cuisiniers ne sont pas Meilleur Ouvrier de France et ce n’est pas pour ça qu’ils n’en ont pas les valeurs ni les qualités. Ils ne le sont pas car le Jour J, ça n’a pas marché. Maintenant, je serais tenté de dire que le plus difficile, ce n’est pas d’avoir le titre mais de réussir à conserver ses valeurs après.
Aujourd’hui, vous êtes 2 MOF au sein de la même cuisine, vous et votre second Guillaume Royer, ce n’est pas un peu le combat de coq en cuisine ?
Ce ne sera surtout pas le combat de coq ! J’ai beaucoup de fierté et d’admiration pour Guillaume et je crois que c’est réciproque. Il est avec moi depuis dix années maintenant et il n’a cessé de progresser jusqu’à obtenir ce fameux col bleu-blanc-rouge. Je suis très heureux qu’il soit avec moi aujourd’hui et je comprendrais aussi très aisément le jour où il voudra partir.
Vous avez aujourd’hui 2 étoiles, un titre de MOF et 4 toques au Gault & Millau, qu’est-ce qui vous manquerait ?
Oui, il me manque 5 toques et 3 étoiles pour arriver à mon maximum. Si à 43 ans, je vous dis que je n’ai plus besoin de rien, c’est qu’il y a un problème. Non seulement ce serait dommage mais c’est aussi ridicule ! Qu’est-ce qui fait que l’on avance encore aujourd’hui ? Au même titre que des sportifs, on est des compétiteurs qui ont envie d’être performant au quotidien pour tenter d’aller encore plus loin.
La philosophie de Christophe Bacquié aujourd’hui, c’est quoi ?
La cuisine est un métier qui nous passionne plus que tout. Plus que la technique, ce que les gens recherchent lorsqu’ils viennent dans nos restaurant est de ressentir une véritable émotion.
Si le restaurant est fin prêt à accueillir ses premiers clients, les travaux ne font que commencer à l’Hôtel du Castellet. En effet, cet hiver, c’est au spa que s’attaquera sa femme Alexandra avec la construction d’un espace bien-être de près de 700 m2. Des rénovations colossales qui coûteront à l’établissement près de 400 000 €.