Du Parisien venu se restaurer entre deux rendez-vous au riverain, habitué des lieux, chacun à ses petites habitudes. D’une table à l’autre, les rouelles de pommes de terre au beurre d’algues garnies d’un tartare d’huîtres et de caviar Kristal remportent autant de succès que les spaghetti au homard, sauce homardine, estragon et piment d’Espelette concoctées à la minute. Biberonné à la grande gastronomie, le chef n’en oublie pas pour autant les plaisirs de la cuisine familiale, « vous me faites de bonnes pommes de terre sautées avec une tranche de jambon et je me régale ».

christophe queant beaune bourgogne

Rêve de gosse
Petit-fils et arrière-petit-fils de pâtissier, Christophe Quéant a la cuisine dans le sang. « Je ne voyais pas beaucoup mes grands-parents mais la passion pour ce métier a toujours été là. » Tandis que les autres bambins s’imaginent pompier ou vétérinaire, lui rêve de fourneaux. « Je savais ce que je voulais et je suis toujours parvenu à mes fins. Je suis un grand têtu ». Déterminé, il intègre l’école hôtelière de Breuil-le-Vert (Oise) avec pour seul bagage, la mousse au chocolat du mercredi après-midi réalisée avec sa maman. Malgré sa soif d’apprendre, ses parents le mettent en garde. Plus de week-end ni de jours fériés, et des vacances prises en décalé deviendront son quotidien.

De la théorie à la pratique
Dès son entrée à l’internat, il multiplie les cours allant même jusqu’à suivre ceux des dernières années, « lorsqu’ils avaient classe le soir, je les rejoignais pour pouvoir prendre de l’avance ». Le week-end, de retour à Compiègne, en Picardie, pas question d’aller taper la balle avec les copains. Son temps libre, il le partage entre la cuisine de ses parents et celle de Jean-Christian Dobigny, à l’Auberge du Mont Saint Pierre (Vieux-Moulin, Oise). Barbu et imposant, 1 m 90 de la tête aux pieds, ce grand monsieur est un vrai cuisinier. Si l’ambiance est familiale, derrière les fourneaux, le travail ne manque pas. Immédiatement plongé dans le grand bain, il apprend à coordonner ses gestes dans un temps imparti. L’heure tourne, le coup de feu se fait sentir. « à l’école, on vous vend du rêve. Dans la réalité, il faut travailler dans la rapidité. Une fois le client assis, le chrono tourne. Deux heures plus tard, il doit être parti. Il ne faut pas rester endormi ». Au fil des mois, l’adolescent fait ses premières armes. à la maison, ses parents deviennent ses premiers clients. « Bon public, mes parents essuyaient un peu les plâtres car lorsqu’on commence on ne fait pas que du bon ».

christophe queant beaune bourgogne

À la conquête de l’hexagone
Diplômes en poche, Christophe Quéant quitte la terre ferme pour l’air de la mer. à 21 ans, il intègre – service militaire oblige – l’équipage de la « Jeanne d’Arc ».
à bord de ce navire-école, il parcourt deux fois le tour du monde. Baptêmes, anniversaires et rencontres officielles ponctuent les festivités. à son retour, le Picard regagne sa terre natale, mais pas pour longtemps. Envahi par le spleen, il regagne la grande bleue pour une saison à l’hôtel Juana (Juan-les-Pins, Alpes-Maritimes), sous la houlette de Christian Morisset. à la prochaine escale, il quitte la frénésie de la riviera pour l’élégance du rocher. Direction, l’emblématique restaurant, le Louis XV***, d’Alain Ducasse. Derrière les fourneaux, le droit à l’erreur n’existe pas. « On voit d’emblée la différence entre une maison familiale et un restaurant gastronomique à la recherche de l’excellence. Vous comprenez vite que vous travaillez pour un nom et pas pour la petite auberge du coin ». à table, les marqueurs de la cuisine méditerranéenne sont là, « une chose est sûre, il n’y avait pas de crème ». Crus, confits, poêlés, rôtis, les légumes sont au centre de l’assiette. La cuisine du jardin bat son plein. « Alain Ducasse, c’est un visionnaire, une personne qui sait ce qu’elle veut ». à tout juste huit kilomètres de là, Christophe Quéant rejoint ensuite un autre Picard, Jean-Marc Delacourt (La Chèvre d’Or**, Eze Village). Avec son col bleu-blanc-rouge, le Meilleur Ouvrier de France mène sa brigade à la baguette. « Le chef annonçait les bons en parlant. S’il y avait un peu de bruit autour, vous n’entendiez rien ».

Trois ans plus tard, le cuisinier se lance un nouveau défi. Il quitte la chaleur du maquis pour le froid continental du Morvan. Un an après le suicide de Bernard Loiseau, le relais éponyme se reconstruit. « Ça a été une grande épreuve car une partie de la brigade partait. Il a fallu tout redémarrer avec une nouvelle équipe ». En cuisine, le trio Patrick Bertron, Arnaud Faye – aujourd’hui à L’auberge du Jeu de Paume** à Chantilly – fonctionne bien. Sur place, il est séduit par cette cuisine vivante qui explose dès la première bouchée, « le plus fort a été pour moi cette révélation du goût qui tenait si particulièrement à Bernard Loiseau. » Le chef continue son tour de France. Il retourne à Monaco, cette fois-ci, au service du chef Joël Robuchon. Sous sa responsabilité, ce ne sont pas moins de sept restaurants et cent cuisiniers à gérer. Le chef Poitevin a le souci du détail. Christophe Quéant passera plus de temps sous les néons que sous le soleil monégasque.

En transit
Après 2518 km parcourus, il cherche la ligne d’arrivée. C’est finalement à Dijon qu’il atterrit. Mauvais Karma, son projet d’ouvrir son propre restaurant tombe à l’eau. Qu’à cela ne tienne, ce sera pour plus tard. En attendant, c’est à Loiseau des Vignes aux côtés de Dominique Loiseau, qu’il vole de ses propres ailes. Huit mois après son arrivée, l’étoile tombe. « Ce n’était pas un objectif que l’on m’avait fixé, c’était le but que je m’étais donné. » Pari réussi, il plie bagage, direction le château de Pommard dont il rachète le fond de commerce. En l’espace de huit mois, il transforme cette table d’hôtes en temple du bon goût. L’étoile tombe à nouveau. Coup du sort, le propriétaire vend le château à un américain. Il faut partir.

christophe queant beaune bourgogne

Home sweet home
Après treize mois de travaux et deux millions d’euros investis, Christophe Quéant est enfin chez lui. « Par chance, j’avais déjà acquis ces locaux à Beaune. à l’époque, je prévoyais d’y ouvrir un second restaurant. »
Si le lieu change, sa cuisine elle, reste fidèle à ses valeurs, que ce soit bon et beau, le tout réalisé sans tricher. « On ne cache rien dans notre cuisine. Si ça plaît tant mieux, sinon tant pis, ça plaira à d’autres ». Au centre de l’assiette, pas question de trouver du pain d’épices qui vient de Pologne ou des escargots de Bourgogne importés de Roumanie. Au menu, il y en a pour tous les goûts et toutes les bourses. Les quenelles de sandre et médaillons de homard européen, sauce homardine à l’estragon, et la côte de veau de nos régions dorée au sautoir, asperges vertes et lard paysan côtoient le dos de cabillaud cuit au naturel, risotto à l’encre de seiche, supions, chorizo et gingembre frit. Un mélange des genres qui détonne. Onctuosité, douceur et fraîcheur caressent nos papilles. Clin d’œil méditerranéen, le piment d’Espelette n’est jamais très loin. Côté sucré, on termine le repas en grande pompe. Baba au rhum, crème légère fouettée à la vanille Bourbon et la tarte fine aux pommes accompagnée de sa glace vanille rendent hommage aux grands classiques de la gastronomie française. Bouquet final, la rose est la star de ce printemps. Associée à la fraîcheur du litchi et à la douceur du chocolat blanc, elle confirme cette adresse comme une fine fleur de la gastronomie locale.

Les recettes du chef :
Cannelloni de saumon fumé au délice de Pommard guacamole d’avocat, caviar kristal
Rouget de roche snacké, primeur de légumes au citron confit, coulis de basilic
Homard européen rôti à la verveine, mousseline de petit pois au poivre de Timut
Cœur de ris de veau tranche épaisse de sucrine braisée jus perlé
Fine gelée de fraises Gariguette, éclat de meringues et framboises, sucs de vieux vinaigre balsamique