Aucun Dijonnais, de naissance ou d’adoption, n’ignore le rendez-vous haut en couleur qu’est la Foire internationale et gastronomique. Son succès ne tient pas seulement aux locaux qui s’y promènent ou qui figurent au programme, l’évènement rayonne et mobilise bien au-delà des frontières de la ville, du département et de la région. Les gourmands de tous horizons et acteurs du monde de la gastronomie en son sens large planifient leur excursion de longue date pour prendre part aux festivités. Devenue une habitude, un lieu de rencontres, de partage, de souvenirs, de convivialité, de découverte, de culture, d’ouverture sur le monde mais aussi et surtout de joie, la Foire Internationale et Gastronomique compte 100 ans d’aventures en tout genre et de rebondissements incroyables. Son histoire est intimement liée à celle de la cité, du pays et même du monde, tant d’un point de vue politique qu’économique. Son évolution elle-même est le fruit d’une volonté commune et constante mais aussi et surtout d’une capacité d’adaptation à toute épreuve. 100 ans d’histoire, d’anecdotes et de passion pour la gastronomie déclamée haut et fort !
Affiche de la Foire Gastronomique de 1922
Affiche de la Foire Gastronomique de 1922
Affiche de la Foire Gastronomique de 1939
Affiche de la Foire Gastronomique de 1939
Affiche de la Foire Gastronomique de 1950
Affiche de la Foire Gastronomique de 1950
Affiche de la Foire Gastronomique de 1984
Affiche de la Foire Gastronomique de 1984

TOUT EST BON À DIJON

À l’initiative de la création de la Foire de Dijon, il y a Gaston Gérard, un maire dont personne n’oubliera le nom en contrées dijonnaises puisqu’il donna son nom à une recette, le fameux « poulet Gaston Gérard », inventé par sa femme Reine Geneviève Bourgogne, à l’occasion d’un dîner avec un célèbre critique gastronomique qui nomma lui-même ce plat. Dès le début de son mandat, en 1919, le maire nouvellement élu envisage de concentrer ses efforts sur la mise en valeur de l’industrie alimentaire et le tourisme alors même qu’il y a un essor de l’industrie automobile et mécanique. Une vision porteuse qui ne vient pas de nulle part puisque l’agglomération dijonnaise abrite, entre autres, la manufacture des biscuits Pernot, la maison Mulot & Petitjean, les entreprises Lejay Lagoute, Gabriel Boudier, L’Héritier-Guyot, Lanvin, nombres de producteurs de moutarde dont Bizouard (devenu Amora) et évidemment, de vins. Les trois grandes spécialités dijonnaises sur lesquelles Gaston Gérard fonde initialement son argumentaire sont le pain d’épices, le cassis et la moutarde. Des produits d’appel dont il se sert pour présenter son projet de foire. Si l’évènement n’est pas nouveau puisqu’il en existe déjà depuis le Moyen-Âge, le concept, lui, se veut novateur. Contrairement aux festivités du genre où l’on vend à peu près de tout, la Foire de Dijon sera la première à être spécialisée dans les produits issus de l’industrie agroalimentaire. Il précise son propos en intégrant à son ambition non seulement les produits régionaux mais aussi français. Il milite alors pour promouvoir les produits bourguignons en menant des conférences. L’idée fait son chemin et le feu vert est donné non sans préciser que la municipalité ne doit pas s’en trouver ruinée. Il est donc décidé que la Foire aura lieu au début du mois d’octobre, moment naturellement foisonnant pour les fruits et légumes mais aussi période creuse pour les commerçants dijonnais, et qu’elle aura lieu de façon récurrente, chaque année, dans l’objectif d’en tirer des bénéfices à long terme. La fédération des syndicats d’initiative de Bourgogne est créée, le Comité d’initiative de la Foire est en ébullition et la première édition de la bien nommée Foire gastronomique est lancée le 7 novembre 1921.

Affiche avec Gaston Gérard
Entrée de la Foire de Dijon
Entrée de la Foire de Dijon
© D.R.
Stand à la Foire Gastronomique
Stand à la Foire Gastronomique
© D.R.
Stand d'art de la table à la Foire Gastronomique
Stand d'art de la table à la Foire Gastronomique
© D.R.
Dégustation au stand Picon à la Foire Gastronomique
Dégustation au stand Picon à la Foire Gastronomique
© D.R.

CHAPEAUX MELONS ET BONNES BUVETTES

Les années 1920 sont aussi les années folles durant lesquelles l’élan pour la culture, la créativité et la fête est extraordinaire. Est-ce que ce second souffle inspiré par la renaissance d’après-guerre et le retour à la vie normale ont participé à la réussite de la Foire Gastronomique ? Certainement.

Pour sa grande première, la Foire s’installe place de la Libération et occupe les locaux de la mairie

 

Les vins et les liqueurs sont bien représentés, la buvette de la Grande Taverne attire du monde tandis que les fabricants de produits alimentaires ont pignon sur rue mais aussi les représentants des métiers annexes à la gastronomie. On retrouve donc, en plus des produits alimentaires, des machines agricoles, des objets et du mobilier de salle à manger… Le Graal est sûrement la visite ministérielle qui aura lieu le 12 novembre et qui sera consacrée par un repas bourguignon concocté par le restaurant Pré aux Clercs, devenu une véritable institution et toujours présent place de la Libération.

Le bilan de cette grande première annonce des chiffres encourageants, tant sur le plan du nombre de visiteurs que sur celui des bénéfices. Gaston Gérard se félicite évidemment de ce succès, qui n’aurait pu voir le jour sans la mobilisation des commerçants et acteurs de l’industrie agroalimentaire, et compare l’investissement financier de la municipalité au franc symbolique. La deuxième foire a donc bien lieu l’année suivante, renforcée par de nouveaux exposants, sceptiques avant la première édition et convaincus après coup. Le succès est plus que confirmé avec un nombre d’entrées plus que doublé et des bénéfices quintuplés. La vision de Gaston Gérard est donc la bonne, non seulement Dijon et sa région ont beaucoup à offrir en termes de mets culinaires mais aussi en matière de tourisme, avec leur patrimoine historique et artistique, leurs monuments et leur facilité d’accès grâce à un positionnement idéal entre Paris et Marseille. La perspective de la troisième édition de la Foire est donc l’occasion de se structurer et, pour le maire de Dijon, d’entamer une campagne d’ampleur autour de l’évènement. Il parcourt les grandes villes de France et se rend même dans plusieurs pays étrangers pour faire connaître les traditions culinaires bourguignonnes et l’évènement qui les consacre.

Stand de vins à la Foire Gastronomique
Stand de vins à la Foire Gastronomique
Les hôtesses de la Foire Gastronomique
Les hôtesses de la Foire Gastronomique
La Table de Lucullus 1970
La Table de Lucullus 1970
Stand Regina
Stand Regina

UN RENOUVEAU PERPÉTUEL

En 1923, les choses ont changé et cela se voit : l’évènement est rallongé de quelques jours, un menu bourguignon est imposé chaque jour dans tous les restaurants de la ville et l’appellation « crème de cassis de Dijon » est officiellement reconnue. La fête bat son plein et les visiteurs profitent du char de Gargantua qui, tel qu’il est décrit, semble avoir servi d’inspiration à l’affiche de 1933. Un chef cuisinier articulé replet et hilare est équipé d’une très grande fourchette qui embroche un cochon en pain d’épices. Il est à l’image de ce qu’est la Foire gastronomique, un rendez-vous placé sous le signe de la gourmandise et de la convivialité où on se laisse aller aux excès dans la joie et la bonne humeur. Au fil du temps, les évolutions sont nombreuses et régulières. Des choses sont testées, parfois conservées, parfois abandonnées, avec une adaptation constante au monde et à ses profondes mutations. Différents lieux seront essayés étant donné l’ampleur que prend l’évènement, de la place de la Libération au Cours du Parc, quitte à bouleverser la vie de tout le centre-ville, jusqu’à son emplacement actuel, boulevard de Champagne, autrement appelé « La Boudronnée » à l’époque. Tour à tour, la Foire accueillera l’exposition nationale d’horticulture, une foire aux autos, une course des garçons de café, la course des garçons limonadiers, une émission de radio dédiée, un stand de parfums, un de dégustations gratuites ou encore un autre tenu par la Régie française des tabacs… Des exemples parmi tant d’autres d’activités qui ont été proposées au fil des éditions. Dans ce fourmillement d’initiatives, certaines ont gardé toute leur importance et sont devenues indissociables de la Foire dijonnaise. La table de Lucullus bien sûr, pour présenter les fabuleux savoir-faire des professionnels des métiers de bouche, qui s’est installée comme un élément phare et central. La fête foraine, organisée depuis les tout débuts en même temps et à proximité de la Foire. Le concours de la Saint Martin, une exposition agricole qui s’est tenue de 1929 à 2002, et qui avait pour but de permettre aux éleveurs de présenter leurs bêtes, remplacé en 2008 par « La Ferme Côte d’Or ». Sans oublier ce qui a donné à la Foire gastronomique sa dimension internationale : les pays hôtes. Depuis 1921, les exposants étrangers sont présents dans une proportion plus ou moins importante mais c’est en 1975 que l’évènement obtient officiellement le qualificatif tant convoité en justifiant d’au moins 20 % de stands dédiés à la gastronomie du monde. Le concept de faire des exposants étrangers des hôtes d’honneur est né à Dijon et a mis en tête d’affiche, en tout et pour tout, plus de 40 pays. En 2013, s’ajoute à celà, la création, à l’initiative de Dijon Congrexpo, de Vinidivio, salon des vins du pays invité d’honneur à l’occasion duquel sont organisés un concours et la Paulée de Dijon. Un véritable défilé de découvertes, de folklores venus d’ailleurs, de richesse culturelle et un rayonnement incroyable pour une fête des gourmands dijonnaise lancée au début du siècle.

Le Chanoine Kir à la Foire Gastronomique
Le Chanoine Kir à la Foire Gastronomique
© D.R.
Parc des expositions de Dijon
Parc des expositions de Dijon
© D.R.
Palais des Congrès de Dijon
Palais des Congrès de Dijon
© D.R.

LONGÉVITÉ D’UNE STRUCTURE BIEN HUILÉE

Pour assurer sa pérennité, la Foire gastronomique de Dijon a dû s’organiser, se structurer, penser un modèle économique et s’installer durablement dans le paysage, symboliquement et physiquement. Les tournants ont été nombreux au cours de son histoire, à commencer par la création de l’association de loi 1901, à but non lucratif, « La Foire Gastronomique de Dijon ». Elle est enregistrée en 1926 et sa forme juridique ne fera l’objet d’aucun changement jusqu’à aujourd’hui. L’évolution principale est sûrement son nom commercial puisqu’avec la construction de ses locaux, elle s’est muée en « Dijon Congrexpo ». C’est d’ailleurs, après-guerre, sous la houlette du nouveau maire de Dijon, l’incontournable chanoine Kir, que la municipalité se retire complètement de l’organisation de l’évènement pour déléguer cette responsabilité au président de la Chambre de commerce. En 1949 se pose alors la question de relancer la Foire, qui n’a plus ni bâtiments, ni capitaux. La municipalité donne alors un coup de pouce d’ampleur en mettant gratuitement à disposition de l’association 6 hectares de terrain laissés à l’abandon à la Boudronnée mais aussi une somme importante destinée à la remise en état de la parcelle et aux aménagements. Dans la foulée, des baraquements en bois sont montés rapidement pour accueillir la 20e foire. Il faudra s’en contenter jusqu’en 1956, année de la construction et de l’inauguration du palais des Expositions. Il fera lui-même plus tard l’objet d’agrandissements et d’aménagements supplémentaires. S’y ajoutera en 1997 le palais des Congrès pour former un ensemble. Ce nouvel outil, complexe d’envergure, permet aux membres du comité de rêver plus grand pour la Foire mais aussi et surtout de ne plus se contenter de l’organisation d’un seul évènement annuel. Cela donnera naissance à de multiples évènements récurrents comme Florissimo, le Salon de l’Habitat, le salon Doras ou encore, le dernier en date : Vélo&Co, le premier salon du vélo. Un système bien monté qui permet aujourd’hui à l’association d’être autonome tout en satisfaisant sa mission de délégation de service public. Ce fonctionnement associatif sans subvention permet à l’association de faire perdurer l’esprit de ses fondateurs, c’est-à-dire celui de promouvoir et faire rayonner la gastronomie locale sans être tenus par la rentabilité de toutes ses initiatives. Il est à noter que la Foire n’a été interrompue que deux fois dans son histoire, lors de la Seconde Guerre mondiale, entre 1939 et 1949, et récemment, en 2020, lors de l’épidémie de Covid-19. Chaque fois elle a su renaître sans jamais changer ses fondamentaux : réunir le plus grand nombre autour de la gastronomie et son univers dans la joie et la bonne humeur.

Les fondamentaux de la Foire : réunir le plus grand nombre autour de la gastronomie et son univers dans la joie et la bonne humeur.

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SUCCULENTES ANECDOTES

La Foire compte dans son centenaire d’incroyables souvenirs, étonnants, surprenants, parfois décalés. Parmi eux, il y a notamment l’origine d’une expression connue seulement des Dijonnais : « Un vrai temps de Foire ! », en référence à la météo capricieuse qui s’abat sur la Cité des Ducs chaque année au début du mois d’octobre. En 1926, tout comme nous le faisons aujourd’hui, les visiteurs ont dû s’habituer à prendre le tram pour se rendre à la Foire qui avait déménagé Cours du Parc. Comment ne pas sourire en découvrant les déclarations de l’évêque de Dijon en 1952 qui suspendait officiellement la loi ecclésiastique prescrivant l’abstinence de consommation d’aliments gras le vendredi pour les participants à la Foire ? Difficile également d’imaginer que la Régie française des tabacs, devenue ensuite la SEITA, avait son stand dédié à la promotions des cigarettes et qu’un nuage de fumée planait en permanence dans les allées, surtout après les repas… Non moins surprenant, voire même excessif, à l’issue d’un concours en 1950, un participant réussit à remporter 80 kg de tripes. Plus tard, en 1962, le chanoine Kir lui-même eu droit à son poids en pâtes… de quoi en manger pendant quelques années ! Dans les années 50, les Dijonnais se réjouissaient particulièrement de l’ouverture de la Foire puisqu’elles permettaient exceptionnellement aux épiciers et boulangers de vendre le dimanche, ce qui n’était pas le cas le reste de l’année. En 1971, les visiteurs ont pu découvrir le stand d’un chasseur de vipères qui exposait des serpents vivants. Dans la même veine, des perroquets gris du Gabon ont été proposés à la vente pour un montant de 500 francs, une espèce aujourd’hui protégée.