Tokyo est une ville sans fin. Le mont Fuji et son éternelle coiffe neigeuse semble avoir été posé au milieu des maisons et des usines. Sur la route de Kyoto, à bord du Shinkansen, le train à grande vitesse, le voyageur, avisant le volcan endormi, s’interroge : « Sommes-nous toujours à Tokyo ». Le bolide au nez évasé et monstrueux a quitté la gare de Tokyo depuis près de 50 minutes. Le paysage n’est qu’un enchevêtrement ininterrompu de constructions hétéroclites, sans lien entre elles, autre que cette toile d’araignée de câbles électriques, tissée et flottant au-dessus des toits. Trois heures plus tard, le voyageur arrive à Kyoto, l’ancienne ville impériale et s’interroge toujours. En 1922, le journaliste Albert Londres écrivait que Tokyo n’avait pas de bout. Et il ajoutait, la ville n’a pas de centre : « C’est un damier sur quoi le malheureux pion, le lamentable étranger que vous êtes, n’arrivera jamais à la dame ». Cherchez la dame et ne jamais la trouver, c’est une antienne à Tokyo, et une jouissance, sans limite pour le voyageur prêt à plonger et se noyer dans ce chaos, ô combien, respirable. À l’inverse, le visiteur peut rester sur ses gardes à l’instar de Pierre Loti, venu butiner Madame Chrysanthème, le temps d’une saison, ou de Scarlett Johanson, prisonnière de la tour dorée du Park Hyatt dans les premières scènes de Lost in translation, ou de son partenaire de jeu, Bill Murray, tuant l’ennui nocturne en sirotant du Suntory, dos tourné vers le paysage new-yorkais du quartier de Shinjuku.
Tokyo exalte la peur de tout ce qui nous est étranger (et étrange) mais, aux audacieux, elle ouvre les portes d’un vrai voyage dans lequel l’exotisme n’est pas un mot galvaudé. Par où commencer ? Par une izakaya, par exemple. Il en existe des milliers à Tokyo. Elles sont souvent introuvables, même avec une adresse dans les mains, sans le secours d’un habitant de la ville. Elles se logent dans le moindre recoin de cette ville Lego où chaque mètre carré est optimisé, sous un pont de chemin de fer, dans un sous-sol près d’un parking, au dernier étage d’un immeuble peuplé de restaurants. Ce n’est pas le lieu ou le décor qui importe, c’est ce que l’on y vient chercher: l’insouciante joie de vivre de l’instant, une convivialité non feinte, une gourmandise exagérée jusqu’à l’ivresse. Car demain est un autre jour. Pousser la porte de l’un de ces restaurants populaires, toujours bondé, c’est découvrir comment les japonais expurgent le stress engrangé au cours d’une journée de travail sans fin et de voyages en transports collectifs interminables : par des éclats de rire en se régalant des meilleures nourritures avec force bière, saké, cocktail, ou les trois à la fois. Les plats dé-filent sur la table par petites portions, préparées à la minute. Chaque izakaya sert une des cuisines japonaises ou une spécialité. Du nord au sud de l’archipel de 6852 îles, elles sont nombreuses. Voilà pourquoi, l’insatiable noceur japonais court d’izakaya en izakaya dans la même soirée, pour déguster, ici des yakitori (petites brochettes), là-bas des oden (pot au feu), ailleurs des poissons grillés ou du sashimi de cheval et terminer par quelques nigiri. Dans ce tourbillon de saveurs déjantées et de folles expériences, au bout de la nuit, le voyageur béotien a choisi son camp. Il aime ou il déteste Tokyo
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Le sanctuaire de Meiji Jingu
> pour une méditation ou une prière au coeur d’une forêt, à deux pas du quartier des boutiques de mode d’Omatesando.
www.meijijingu.or.jp
© Henning Buchholz
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Le marché aux poissons de Tsukiji
> y aller dès l’aube pour admirer la fabuleuse diversité des poissons japonais.
www.tsukiji-market.or.jp
Isetan dans le quartier de Shinsuku : le paradis
> des amoureux du shopping qui est un plaisir sans fin au Japon tant la qualité du service est himalayenne. Le sous-sol du magasin (aux 200 000 visiteurs jours pendant les fêtes), consacré à la nourriture est un lieu de perdition pour tous les gourmands.
www.isetan.co.jp
© Milosz